Le gouvernement allemand a fait mine d'hésiter, mais la perspective de rattraper plus d'un millier de fraudeurs du fisc était trop alléchante: Berlin va payer pour une liste de noms vraisemblablement volée en provenance de Suisse, une décision qui fâche Berne.
A la question: "faut-il payer?", la chancelière Angela Merkel a répondu lundi qu'il fallait "tout faire pour obtenir ces données".
Auparavant un porte-parole du ministère des Finances avait mis fin au pseudo-suspense, en déclarant que "la décision (serait) dans la droite ligne de celle prise par l'Etat fédéral et les Etats fédérés dans le cas du Liechtenstein"; cette affaire similaire avait vu l'Allemagne acheter des données en 2008.
Berlin devrait donc verser 2,5 millions d'euros pour obtenir, selon la presse, un CD contenant entre 1.300 et 1.500 noms de fraudeurs du fisc allemand; la liste lui permettrait de récupérer au moins 100 millions d'euros.
Cette perspective a mis fin aux états d'âme exprimés ce week-end par certains conservateurs ou libéraux, les deux camps qui se partagent le pouvoir à Berlin.
Les 5 millions d'euros déboursés pour des données en provenance du Liechstentein ont déjà permis de collecter 180 millions d'euros et d'attraper un gros poisson, le patron de Deutsche Post de l'époque, Klaus Zumwinkel.
"La satisfaction mauvaise" de l'opinion publique quand M. Zumwinkel avait été coincé constitue clairement "un argument en faveur de l'achat, du point de vue de l'optimisation électorale", commentait le quotidien Financial Times Deutschland. En d'autres termes, pincer les fraudeurs fait recette auprès des électeurs.
Et l'argument moral a vite été balayé. La fédération de la police GdP dresse un parallèle avec les opérations menées dans le milieu de la drogue, ou encore le rachat par les compagnies d'assurance d'oeuvres d'art volées. "On ne peut pas exclure qu'une partie de l'argent en dépôt sur les comptes suisses ait été acquis de manière illégale", a ajouté son président Konrad Freiberg.
La Suisse a immédiatement prévenu l'Allemagne qu'elle ne collaborerait pas "sur la base de données volées". Le ministre des Finances suisse Hans-Rudolf Merz ne répondra "à aucune demande d'assistance administrative" de son homologue Wolfgang Schäuble, selon un communiqué des autorités helvétiques.
La FTD a annoncé que l'informateur n'était autre que Hervé Falciani, l'informaticien de la banque britannique HSBC à Genève qui avait déjà fourni des données de fraudeurs à la France. L'intéressé a démenti auprès de l'AFP à Nice (sud-est de la France).
L'évasion fiscale vers la Suisse est un sujet de différend récurrent entre les deux pays. Le prédécesseur de M. Schäuble, le social-démocrate Peer Steinbrück, en avait fait un cheval de bataille, s'attirant l'ire de Berne. Allemagne et Suisse n'ont toujours pas réussi à trouver d'accord sur la double imposition.
Mais lundi la Suisse s'est dite "disposée à accroître sa collaboration avec l'Allemagne en matière fiscale sur la base d'une convention contre la double imposition révisée". Du côté allemand, on évoquait un accord entre les deux ministres des Finances, qui se sont parlés au téléphone, "pour régler ces problèmes à l'avenir".
Pour le moment, Berlin n'a pas annoncé de décision formelle d'acheter ces données. Une fois obtenues, elles seraient transmises aux Etats régionaux concernés, a précisé le porte-parole du ministère des Finances.
Contrairement à la fédération d'éthique de l'économie allemande, qui voit dans la décision de Berlin "une incitation à la criminalité", le gouvernement considère qu'"il n'y a pas de véritable marché" pour de telles informations, selon le ministère des Finances.