Le gouvernement russe assiste, impuissant, à une fuite massive des capitaux depuis le début de l'année, une tendance qui mine les ambitions de modernisation et de développement affichées par Moscou, et témoigne d'une confiance fragile des investisseurs.
Le pays, exportateur majeur de pétrole, se trouve dans une situation paradoxale: alors qu'il engrange les pétro-dollars à la faveur de la hausse des prix du brut, et voit le rouble se renforcer - deux incitations essentielles pour attirer les investissements - les capitaux ne cessent, eux, de partir à l'étranger.
La sortie nette de capitaux privés de Russie a déjà atteint près de 35 milliards de dollars sur les cinq premiers mois de l'année, soit autant que sur l'ensemble de 2010.
"C'est difficile de donner une explication simple et claire de ce qui est en train de se passer. Mais la principale raison est le climat d'investissement plutôt mauvais", a reconnu récemment le président de la Banque centrale russe (BCR), Sergueï Ignatiev.
Car malgré les efforts affichés par les autorités russes pour rendre le pays plus attractif aux yeux des investisseurs, la Russie a encore beaucoup à faire dans ce domaine.
La fuite des capitaux russes est notamment due "au niveau toujours élevé de corruption", souligne l'institut de politique économique Gaïdar dans son rapport annuel.
L'ONG Transparency International a ainsi classé l'an dernier la Russie au 154e rang sur un total de 178 pays dans son classement sur la corruption.
Face à cet exode, les étrangers réfléchissent à deux fois avant d'investir dans le pays, a souligné la semaine dernière Chris Weafer, économiste de la banque Ouralsib, lors d'une conférence de presse.
"Ils disent: +regardez, les Russes sortent leur argent du pays. Pourquoi devrais-je aller dans ce pays quand les Russes s'en retirent?+", a-t-il dit.
Pourtant, les autorités, qui veulent faire de Moscou un grand centre financier international, s'efforcent de mettre en oeuvre un programme de mesures particulièrement libéral et destiné à améliorer le climat des affaires.
Le président Dmitri Medvedev a ainsi annoncé la création d'un fonds souverain de 10 milliards de dollars destiné à financer la modernisation du pays, alimenté en partie par des investissements étrangers.
Il a aussi dénoncé les conflits d'intérêts dans les grandes entreprises publiques et ordonné que les membres du gouvernement quittent leurs conseils d'administration.
Par ailleurs, les autorités ont engagé un vaste programme de privatisations de 42 milliards d'euros.
Mais les analystes soulignent que l'incertitude sur la mise en oeuvre des projets de modernisation, de lutte contre la corruption et d'impartialité de la justice, incarnés par le président Dmitri Medvedev, pèse sur le climat d'investissement à l'approche des législatives de décembre et de la présidentielle de mars.
La sortie des capitaux "est un signe clair que le milieu des affaires veut rester sur la ligne de touche jusqu'à ce que le paysage politique devienne plus prévisible", écrit la banque d'investissement VTB Capital dans une note.
La sortie des capitaux témoigne aussi des doutes des investisseurs sur les perspectives de la croissance en Russie.
La production industrielle a ralenti sa hausse en avril, et la croissance du produit intérieur brut (PIB) n'a augmenté que de 4,1% au premier trimestre sur un an, un chiffre bien inférieur aux taux observés avant la crise économique mondiale.
"Les gens commencent à réaliser qu'il n'est plus possible d'atteindre les taux de croissance de la décennie précédente sans réformes ni investissements majeurs", a souligné Chris Weafer.