Une longue et délicate enquête se profile pour lever les zones d'ombre de l'affaire d'espionnage industriel au bénéfice d'une "puissance étrangère" pour laquelle Renault a officiellement porté plainte contre X jeudi au parquet de Paris.
"Le parquet devrait annoncer l'ouverture d'une enquête préliminaire", a déclaré à l'AFP vendredi l'avocat de Renault, Me Jean Reinhart. Cette enquête, aux ramifications internationales, devrait durer plusieurs mois, selon lui.
Elle devrait être confiée à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), a-t-il précisé, mais celle-ci n'était toujours pas officiellement saisie vendredi matin, de source proche du service de renseignement.
L'affaire, qui touche au coeur des "actifs stratégiques, technologiques et intellectuels" de Renault, a conduit à la mise à pied de trois cadres du constructeur soupçonnés d'avoir diffusé des informations sensibles.
Elle concerne le projet phare de véhicule électrique du constructeur, un enjeu colossal pour le groupe qui y a investi 4 milliards d'euros avec son allié japonais Nissan. Renault assure toutefois qu'aucune "pépite" d'innovation stratégique n'a fuité, notamment sur ses batteries ou ses brevets.
Dans sa plainte, Renault évoque "des faits constitutifs d'espionnage industriel, de corruption, d'abus de confiance, de vol et recel, commis en bande organisée".
Selon le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, il s'agit d'"une affaire complexe qui nécessitera des investigations internationales". La plainte vise "la fourniture d'éléments intéressant le secret économique français à une puissance étrangère" non dénommée, a-t-il précisé.
Ni Renault, ni l'Etat français, encore actionnaire du constructeur à 15%, n'ont confirmé à ce jour la "piste chinoise" privilégiée par le contre-espionnage et le groupe, selon la presse et les spécialistes de l'intelligence économique
Pékin a fustigé des accusations "totalement sans fondement, irresponsables et inacceptables".
Me Reinhart a indiqué que Renault avait versé au dossier tous les éléments d'informations collectés dans le cadre de l'enquête en interne diligentée en août 2010, lorsqu'il a pris connaissance d'éventuels actes d'espionnage qui le visaient.
Les trois cadres mis à pied, qui occupent des fonctions importantes au sein du groupe, nient en bloc les accusations portées contre eux.
Michel Balthazard, membre du comité de direction de Renault, un de ses adjoints, Bertrand Rochette, responsable des avant-projets, et Matthieu Tenenbaum, directeur de programme adjoint du véhicule électrique, risquent un licenciement pour faute grave, qui peut désormais intervenir à tout moment.
"On peut tirer la conclusion qu'une lettre de licenciement pour faute lourde va nous être adressée", a déclaré à l'AFP vendredi l'avocat de M. Balthazard, Me Xavier Thouvenin
Les trois cadres et leurs défenseurs, qui n'ont à ce stade aucun accès au dossier, s'insurgent de l'opacité des faits qui leur sont reprochés. Me Thouvenin a confirmé que Michel Balthazard, avait fait l'objet d'une "dénonciation anonyme", comme Matthieu Tenenbaum.
L'affaire Renault semble avoir pris de court le gouvernement français. Le ministre de l'Industrie, Eric Besson, a regretté de n'en avoir eu vent qu'au dernier moment début janvier "quelques minutes avant que l'AFP ne publie un communiqué".
"On a eu une explication franche et directe, comme on dit au Quai d'Orsay, avec le directeur général de Renault (ndlr, Patrick Pélata)", a-t-il déclaré, confirmant une information du Canard enchaîné, selon laquelle cette découverte tardive avait déclenché une "grosse colère" de sa part.