L'Allemagne a annoncé mardi qu'elle allait acheter un disque contenant jusqu'à 1.500 noms de fraudeurs du fisc détenteurs de comptes en Suisse, alors qu'un furieux débat a éclaté sur la valeur juridique de telles preuves, et ses conséquences diplomatiques.
"Sur le principe, la décision a été prise", a déclaré le ministre des Finances Wolfgang Schäuble au quotidien Augsburger Allgemeine Zeitung à paraître mercredi.
L'informateur anonyme propose moyennant 2,5 millions d'euros une liste qui pourrait permettre au fisc allemand de récupérer au moins 100 millions d'euros.
L'affaire est juridiquement similaire à celle de l'achat de données en provenance du Liechtenstein en 2008, "donc nous ne pouvions pas prendre d'autre décision", a estimé M. Schäuble. L'Allemagne avait alors déboursé 5 millions d'euros. Elle en aurait déjà récupéré 180 millions.
A ce jour, aucun tribunal n'a remis en cause la légalité de l'opération de 2008, a ajouté le ministre.
Lundi, la chancelière Angela Merkel avait déjà clairement annoncé la couleur en déclarant que Berlin devait "tout faire pour obtenir ces données".
Mais dans son propre camp, des conservateurs ont émis des réserves sur la légalité de l'utilisation d'informations ainsi obtenues.
Selon le président de la commission parlementaire de la Justice, Siegfried Kauder, un baron du parti CDU de Mme Merkel, ces données "ne seraient pas exploitables dans le cadre d'un procès pénal à l'encontre d'évadés fiscaux concernés", dans un entretien au quotidien Neue Osnabrücker Zeitung.
Et le ministre de la Défense Karl-Theodor zu Guttenberg a fait savoir que cela lui poserait "personnellement problème" de payer quelqu'un pour des informations obtenues "de manière légalement discutable".
L'opposition, de son côté, se montrait plutôt favorable à l'achat de cette liste, comme Claudia Roth, co-présidente des Verts, qui soulignait que la rémunération d'informateurs dans le cadre de procès pénaux est une pratique courante.
Selon Tobias Singelnstein, professeur de Droit à la Freie Universität de Berlin, il n'est pas évident que l'utilisation de telles données soit jugée légale.
"Poursuivre une infraction contre des règles que nous mêmes nous enfreignons, c'est un peu absurde", a-t-il déclaré.
Selon le Financial Times Deutschland, la Cour constitutionnelle allemande examinerait actuellement l'affaire des données en provenance du Liechtenstein, pour déterminer si elles ont été légalement utilisées.
Un expert juridique de renom, Erich Samson, cité par le quotidien, estimait pour sa part que l'achat par le gouvernement d'une nouvelle liste de fraudeurs pourrait encourager les vols de données au sein des banques.
Outre les débats juridiques, l'affaire a suscité de vives tensions diplomatiques entre l'Allemagne et son voisin suisse, qui y voit une nouvelle attaque contre son secret bancaire.
Interrogé par une radio helvétique, Maximilian Reimann, président de la commission parlementaire suisse chargée des relations avec l'Allemagne, a accusé Berlin de "manipuler des données volées".
Le porte-parole de l'Association suisse des banquiers, Thomas Sutter, a même remis en question la négociation d'un accord sur la double imposition entre les deux pays, dans des déclarations au quotidien Frankfurter Rundschau.
Selon un sondage rendu public mardi par le magazine Stern, la majorité des Allemands (57%) se disent favorables à l'achat des données, contre 43% qui se disent opposés.