Le gouvernement a brusquement intensifié sa lutte contre l'évasion fiscale et augmenté la pression sur les fraudeurs en annonçant avoir identifié trois mille contribuables français soupçonnés d'avoir des comptes non déclarés en Suisse.
Deux jours seulement après la signature d'un accord avec les autorités helvétiques levant la protection du secret bancaire, Bercy a voulu donner un coup d'accélérateur à la chasse aux milliards cachés dans les paradis fiscaux.
Car même si Paris a mis la main début 2008 sur une liste de comptes ouverts au Liechtenstein et créé au printemps un guichet de régularisation à l'usage des fraudeurs, les résultats restent modestes.
La Suisse, où sont officiellement placés 40 milliards d'euros d'avoirs provenant de France, est une cible de choix.
"Nous avons récupéré les noms de 3.000 contribuables détenteurs de comptes dans les banques suisses dont une partie correspond très probablement à de l'évasion fiscale", a révélé le ministre du Budget Eric Woerth au Journal du Dimanche. "Ces comptes sont ouverts dans trois banques et représentent des avoirs à hauteur de 3 milliards d'euros. C'est la première fois que nous avons ce type d'informations, précises, avec les noms, les numéros de comptes et les montants en dépôt", a assuré M. Woerth.
"Deux établissements bancaires nous ont fourni spontanément un certain nombre de noms de leurs clients qui ont ouvert des comptes (en Suisse) sans que l'administration fiscale en soit informée", a-t-il expliqué dimanche sur RTL, sans révéler ses sources. Ces deux banques sont "installées en France", a indiqué à l'AFP l'entourage du ministre, sans mentionner leur nationalité.
L'autre partie de la liste a été obtenue auprès d'informateurs non anonymes et non rémunérés, a ajouté M. Woerth, sans plus de précision.
Le gouvernement français a d'autant plus intérêt à préserver le mystère que la Suisse abrite 327 banques alors que cette liste ne porte que sur trois d'entre elles. De quoi élargir considérablement le nombre de contribuables qui, ne sachant s'ils figurent ou non sur la liste, seraient tentés dans le doute de se signaler au fisc pour échapper au pire...
Pour le député PS Michel Sapin, offrir la possibilité aux fraudeurs d'échapper à des poursuites pénales en se dénonçant serait une "amnistie déguisée".
Pression supplémentaire, Eric Woerth a annoncé que la "cellule de régularisation" créée en avril pour permettre aux "évadés fiscaux" de négocier le rapatriement de leurs avoirs en France allait fermer ses guichets le 31 décembre 2009.
Cette cellule a instruit à ce jour 200 dossiers et procédé à 20 régularisations, avec 80 autres en cours de traitement, selon le ministre, qui veut "passer à la vitesse supérieure" en convoquant les banques établies en France pour leur demander les noms des personnes ayant viré de l'argent vers des pays à la fiscalité plus accomodante.
Pression sur les fraudeurs, pression sur les banques... l'annonce surprise de Bercy est aussi un nouveau message adressé à certains pays qui, comme la Suisse, multiplient les accords pour sortir de la "liste grise" des paradis fiscaux dressée par l'OCDE au lendemain du sommet du G20. Eric Woerth a déjà prévenu que la France allait "tester" les engagements pris par ces Etats pour vérifier qu'ils jouent le jeu.
La Suisse a toutefois assuré qu'il n'y avait aucun lien entre cette liste et l'accord signé avec la France, qui n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2010.
Le Syndicat national unifié des impôts (Snui) a quant à lui salué un "coup intéressant" mais qui "appelle des mesures structurelles et durables" pour lutter contre l'évasion fiscale internationale.