Le nouveau chef de la Banque centrale indienne prend ses fonctions cette semaine dans un contexte agité: croissance au ralenti, devise en déroute et déficit commercial record. Il va devoir laisser au second plan ses projets de réforme pour d'abord stabiliser la roupie.
Raghuram Rajan, 50 ans, un ancien chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), célèbre pour avoir prédit la crise financière de 2008, prendra ses fonctions jeudi, succédant à Duvvuri Subbarao, qui part à la retraite.
Il va piloter la politique monétaire de la troisième puissance d'Asie, alors que cette dernière traverse sa plus grave crise financière depuis 1991.
Après une décennie de forte croissance, supérieure à 8%, ce grand pays émergent de plus de 1,2 milliard d'habitants subit un brutal coup d'arrêt. Son produit intérieur brut n'a augmenté "que" de 5% sur l'année budgétaire 2012/13 (clos le 31 mars), son taux le plus faible depuis dix ans. Sur le premier trimestre de l'exercice en cours, la croissance a encore ralenti, à 4,4%.
Depuis plusieurs semaines, la roupie ne cesse de dégringoler, perdant près d'un cinquième de sa valeur depuis janvier, malgré diverses mesures annoncées par le gouvernement et la banque centrale.
La devise pâtit certes du départ des capitaux vers les Etats-Unis, où croissance et remontée attendue des taux d'intérêt attirent les fonds placés jusqu'à présent dans les pays émergents. Mais elle paye aussi le prix de gros handicaps domestiques: corruption endémique, perte de confiance des investisseurs, absence de réformes, déficit courant élevé (4,5% du PIB), soulignent les analystes.
Raghuram Rajan "est dans une position peu enviable", résume D.K. Joshi, chef économiste à l'agence de notation Crisil.
Le nouveau gouverneur de la Banque de réserve indienne, titulaire d'un doctorat de l'institut Massachusetts Institute of Technology (MIT), a prévenu qu'il n'y avait pas de "solution rapide". "Personne ne peut douter des promesses de ce pays", mais "il n'y a pas de baguette magique qui fasse disparaitre les problèmes instantanément", déclarait-il après sa nomination début août.
"Etant donné l'agitation actuelle, les conditions économiques devraient encore se dégrader avant de s'améliorer", prévoit Daniel Martin, de Capital Economics.
La chute de la roupie creuse en effet encore un peu plus le déficit courant, en augmentant la valeur des produits importés, et notamment le pétrole.
Pour le moment, Rajan, qui a la réputation d'être un réformiste et un critique cinglant de la corruption indienne et de sa bureaucratie paralysante, aura les mains liées, notent les analystes.
Il va devoir se concentrer sur la stabilisation de la roupie, en maintenant les taux d'intérêt à un niveau élevé, quitte à encore un peu plus freiner la croissance, avancent les économistes.
Le gouvernement, lui, va devoir réduire le déficit courant --mesure la plus large des échanges d'un pays avec le reste du monde--.
La Banque de réserve indienne est officiellement indépendante du gouvernement, mais dans les faits, elle doit agir de concert avec le pouvoir politique.
Malgré son passé professionnel respecté et sa réputation de "penseur hors des sentiers battus", beaucoup doutent de sa capacité à relancer l'économie indienne, qui parait durablement enrayée. "Un super jockey. Dommage qu'il n'ait pas un meilleur cheval", a lancé Swaminathan Aiyar, un commentateur économique très écouté en Inde.
Auteur du livre "Fault lines" ("Lignes de faille"), un livre de références sur les fractures financières qui menacent la stabilité économique mondiale, Raghuram Rajan avait quitté en 2012 son poste de professeur à la Booth School of Business de Chicago, à l'appel du Premier ministre indien Manmohan Singh, qui souhaitait bénéficier de son expertise économique.
Pour certains, si la situation de l'Inde dégénérait et que le pays doive, comme en 1991, faire appel au FMI, les liens du nouveau gouverneur avec son ancienne maison pourraient s'avérer précieux. Mais pour le moment, les responsables politiques rejettent une telle éventualité, tandis que les analystes jugent très exagéré une comparaison avec la quasi-faillite d'il y a plus de 20 ans.
A l'époque, le pays avait dû envoyer par avion des lingots d'or à la Banque d'Angleterre comme garanti d'un prêt auprès du FMI, un souvenir cuisant dans l'histoire de l'Inde moderne.