par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Les familles des moines de Tibéhirine, assassinés en Algérie en 1996, ont accusé jeudi Alger de faire "obstruction" à l'enquête française en refusant de transférer à Paris les prélèvements effectués sur leurs crânes la semaine dernière.
Le juge d'instruction chargé de l'enquête en France, Marc Trévidic, a pu se rendre en Algérie du 12 au 19 octobre pour exhumer et autopsier les crânes des religieux, après deux reports de son voyage.
Mais les autorités algériennes, qui ont exclu l'audition de témoins, ont refusé qu'il rapporte à Paris les prélèvements effectués sur les têtes des moines, a déclaré jeudi l'avocat de leurs proches, Me Patrick Baudouin.
"On est en train de nous priver des preuves qui ont été rassemblées", a-t-il déploré lors d'une conférence de presse.
"Si vous continuez dans cette obstruction (...) on pourra en déduire que c'est une sorte d'aveu de responsabilité de votre part", a-t-il lancé aux autorités algériennes. "Si dans quelques semaines, nous n'avons pas obtenu satisfaction, c'est un refus qu'on considérera comme définitif."
D'après Patrick Baudouin, Alger avance que le transfert de prélèvements est empêché par le code pénal. Mais "il n'y a aucun texte de cette nature", dit-il.
"Les procédures judiciaires entamées dans le cadre de cette enquête se font normalement", a déclaré jeudi à la presse le ministre de la Justice algérien Tayeb Louh. "La justice algérienne fait son travail."
Les corps des moines n'ont jamais été retrouvés, ce qui a alimenté des rumeurs sur la cause de leur mort. Alger affirme que les sept religieux ont été décapités par des islamistes qui les avaient enlevés, une thèse qui a été confortée par une revendication du Groupe islamique armé (GIA).
DÉCAPITATION POST-MORTEM ?
Mais l'enquête française n'a pas écarté une possible bavure de l'armée algérienne ou une implication des services algériens. D'abord confiée au juge Jean-Louis Bruguière, l'instruction, ouverte à la suite d'une plainte déposée par des proches des victimes en 2003, a été reprise en 2007 par le juge Trévidic.
Accompagné d'experts, ce dernier a pu pratiquer la semaine dernière une autopsie sur les crânes ainsi que sur des vertèbres retrouvées dans certains cercueils.
"Ce qui a été constaté (...) semble être de nature à permettre des avancées extrêmement significatives sur les conditions d'exécution des moines", a dit Patrick Baudouin.
Les experts auraient ainsi "l'impression" que la décapitation des religieux serait intervenue post-mortem. L'autopsie aurait par ailleurs confirmé l'existence d'un doute sur la date de leur décès. Deux éléments qui sont de nature à fragiliser la thèse islamiste, selon Patrick Baudouin.
L'absence d'impact de balles sur les têtes des moines fragilise quant à elle la thèse d'une bavure de l'armée algérienne, estime-t-il.
Mais toutes ces "impressions" des experts nécessitent une vérification après analyse des prélèvements, précise l'avocat, qui dit craindre un dépérissement des preuves. Cette expertise permettrait aussi de confirmer l'identité des sept crânes, des doutes persistant sur deux d'entre eux.
"Pour pardonner, on a besoin de savoir", a déclaré Elisabeth Bonpain, soeur de Christophe Lebreton, l'un des sept religieux assassinés. "On n'a pas du tout un esprit de vengeance."
Les proches des moines en ont appelé à François Hollande, qui a déjà évoqué l'avancée de cette enquête en décembre 2012 avec son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika.
Pour Patrick Baudouin, "cette affaire, tant qu'elle durera, sera une source de difficultés entre les deux pays."
(Avec Lamine Chikhi à Alger, édité par Yves Clarisse)