Les monnaies de certains grands pays émergents poursuivaient leur chute libre lundi, plombées par des situations économiques locales difficiles mais surtout impuissantes face à la Réserve fédérale américaine (Fed) dont une décision de politique monétaire est attendue mercredi.
Une chute de plus 13,9% en deux jours la semaine dernière pour le peso argentin face au dollar, la livre turque qui enfonce quotidiennement ses plus bas historiques, dégringolade pour le rouble russe et le rand sud-africain, les devises sur les marchés émergents vivent une période sombre.
Parmi les raisons de la récente faiblesse de ces devises, "l'instabilité des marchés financiers dans des pays comme l'Argentine, l'Ukraine et la Turquie (qui) s'est propagée aux autres marchés émergents", a noté Michael Hewson, analyste chez CMC Markets.
Un cocktail de problèmes politiques et financiers dans ces pays alimente ainsi un regain d'aversion des investisseurs pour les actifs qu'ils jugent les plus risqués, comme les monnaies des pays émergents.
En effet, la croissance économique de ces pays et la vigueur de leurs devises dépendent en grande partie de la reprise économique mondiale, dont le moteur, la Chine, a montré ces derniers temps des signes de ralentissement, comme l'a illustré la semaine dernière la faiblesse de la production manufacturière chinoise.
La Russie par exemple, pays "qui avait pris l'habitude de faire les choses à sa façon, se rapproche d'un point où sa dépendance au reste du monde (et surtout à la consommation mondiale d'énergie, ndlr), et à la croissance mondiale, est de plus en plus importante", a souligné Steen Jakobsen, économiste chez Saxobank.
Mais la principale raison pour laquelle "les marchés émergents sont en première ligne" actuellement est que "la diminution (des rachats d'actifs) de la Fed provoque une fuite des capitaux (vers le billet vert) et applique une pression baissière sur de nombreuses monnaies de pays émergents", a observé Alistair Cotton, courtier chez Currencies Direct.
Après des mois de spéculations, la Banque centrale américaine a lancé la première réduction de son programme mensuel de rachats d'actifs massifs, baissant de 85 à 75 milliards de dollars le montant de ses injections de liquidités dans le système financier américain en janvier.
Dollar plus sûr et plus rentable
Ces injections de liquidités ont pour but de stimuler l'activité économique américaine mais aussi pour effet collatéral de diluer la valeur du billet vert. Ainsi toute diminution revigore la monnaie américaine, la rendant plus attrayante car à la fois sûre et plus rentable pour les investisseurs spéculatifs.
De plus, le processus de fin, progressif mais entamé, de ces mesures de soutien à la reprise aux États-Unis, et potentiellement prochainement aussi au Royaume-Uni, "renforce les inquiétudes des investisseurs sur la façon dont vont pouvoir se financer en externe des pays fortement déficitaires comme la Turquie et l'Afrique du sud", a relevé Lee Hardman, analyste chez Bank of Tokyo-Mitsubishi.
La chute des devises émergentes est d'ailleurs d'autant plus difficile à contrer que leurs banques centrales ne disposent pas de réserves de change suffisantes pour agir sur les cours de façon unilatérale, comme peuvent le faire les États-Unis mais aussi la Suisse ou le Japon.
Mais pour Frances Cheung, analyste chez Crédit Agricole CIB, les mouvements de ventes des monnaies émergentes "pourraient être exacerbés par le fait que les investisseurs cherchent à réduire leurs positions avant la réunion du FOMC (Comité de politique monétaire de la Fed, qui aura lieu mardi et mercredi) ainsi qu'avant les festivités du Nouvel an chinois (jeudi et vendredi)".
"Même si certaines monnaies ont fortement baissé en janvier, il ne semble pas justifié de parler d'une nouvelle crise financière balayant les marchés émergents", a également tempéré Julian Jessop, économiste chez Capital Economics, qui y voit plus en grande partie une poursuite de tendances déjà en place de ré-équilibrage de ces monnaies et met en avant les divergences de situations.