Le fisc français a fait de son mieux pour débusquer les fraudeurs présumés de la fameuse "liste HSBC", mais s'est trouvé démuni face aux nombreuses dénégations, selon un rapport parlementaire qui fustige en revanche l'"inertie" de la justice.
Le rapporteur du budget à l'Assemblée générale, Christian Eckert, a enquêté sur le traitement, depuis fin 2008, par l'administration fiscale des fichiers informatiques dérobés par un ex-employé de la filiale suisse de la banque, Hervé Falciani.
"Opération Chocolat": c'est ainsi que la direction générale des finances publiques (DGFiP) a baptisé le décryptage et l'exploitation de plus de 65 giga-octets de données, un travail complexe qui "a pris du temps", selon le député socialiste.
Il ressort de son rapport que le fisc "n'a pas ménagé ses efforts" et a fait ce qu'il a pu avec les moyens à sa disposition. En revanche, estime l'élu, la lenteur de la justice "peut légitimement susciter des interrogations".
Le rapporteur s'interroge sur les raisons du dépaysement du dossier judiciaire de Nice vers Paris fin 2010. Il relève que "ce n'est que fin avril 2013 qu'une information judiciaire a été ouverte". "Pendant tout le temps où la DGFiP a travaillé, la justice n'a pas fait grand chose", a déploré Christian Eckert lors d'une conférence de presse.
Le rapport dresse un bilan détaillé du travail de l'administration fiscale. Au total, la liste HSBC contenait les données de 127.311 personnes de toutes nationalités, dont 6.313 domiciliées fiscalement en France. Pour près de la moitié de ces dernières, "les en-cours des comptes étaient nuls ou négatifs". In fine, 2.932 personnes (2.846 physiques et 86 morales) "étaient effectivement susceptibles d'être imposées au titre d'avoirs non déclarés", explique le député. "Seules six avaient effectivement déclaré leur compte", ce qui selon lui "montre, s'il était besoin",que le recours à des banques en Suisse "répond quasi exclusivement à un objectif de fraude fiscale".
Au passage, Christian Eckert dédouane le fisc des soupçons qui ont pu circuler de manipulation de la liste pour en gommer les "noms gênants".
Le montant total des avoirs des contribuables domiciliés fiscalement en France s'élevait à 5 milliards de dollars, très concentrés sur un petit nombre de comptes: 60 depassaient les 15 millions de dollars et deux, probablement détenus par des "prête-noms", affichaient plus de 500 millions.
Le fisc a engagé des contrôles dès début 2010, mais, faute de temps et de moyens, s'est d'abord concentré "sur les avoirs les plus importants, dans un souci de rendement". Les opérations de contrôle sont en cours d'achèvement pour les comptes supérieurs à 50.000 dollars.
Au 15 juin 2013, les contrôles fiscaux "avaient conduit à la régularisation de 950 millions d'euros d'avoirs dissimulés et au paiement de 186 millions d'euros de droits et de pénalités", soit un taux d'imposition de 19,6%.
Quelque 70% des dossiers traités sont entrés dans une procédure de régularisation. Mais dans 30% des cas environ, l'administration "s'est trouvée confrontée à des contribuables niant la possession des avoirs non déclarés". Or la liste HSBC ayant été constituée à partir de données volées, elle n'est pas opposable comme "preuve fiscale".
Il s'agit d'une "contrainte de taille" et d'un "obstacle juridique" qui "a fortement limité les capacités d'action de la DGFiP", note Christian Eckert. "L'administration fiscale était donc tributaire de la volonté de la personne concernée de régulariser sa situation", ajoute-t-il, et "a donc recouru à la transaction" en acceptant des pénalités modulées à la baisse "pour sécuriser l'imposition et éviter une vague de contentieux". D'autant que, rapporte aussi le député, les employés de HSBC conseillaient souvent à leurs clients "de nier qu'ils détenaient un compte", invoquant, "à raison d'ailleurs, la fragilité de la position juridique de l'administration fiscale française".
Les plus gros comptes, si leurs propriétaires ont nié les faits, et les dossiers apparaissant particulièrement frauduleux, ont fait l'objet d'enquêtes judiciaires fiscales -- des plaintes ont visé 86 personnes. Aucun procès n'a encore commencé.
En revanche, les personnes morales, dont les comptes affichaient 1,4 milliard de dollars, "n'ont pas été toujours très bien investiguées" et ces contrôles fiscaux "n'ont pas été concluants", déplore Christian Eckert.