Un débat de moralité était lancé dimanche en Allemagne: le ministère des Finances doit-il payer un informateur qui propose de lui vendre une liste de contribuables ayant caché des fonds en Suisse ?
L'informateur, qui demeure anonyme, proposerait de vendre pour 2,5 millions d'euros un CD contenant les données bancaires de 1.500 contribuables allemands coupables d'évasion fiscale, selon le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung.
"Quand pour 2,5 millions d'euros on peut récupérer de 100 à 200 millions d'euros d'impôts, le gouvernement ne devrait pas hésiter", estime dans le journal Welt am Sonntag la députée sociale-démocrate (SPD) responsable pour les affaires de Finances, Nicolette Kresl.
"Il s'agit d'une chose volée. Cela reviendrait à récompenser un voleur", estimait quant à lui le député chrétien-démocrate (CDU) Michael Fuchs dans l'édition dominicale du FAZ.
"Personnellement le fait de payer pour obtenir quelque chose de juridiquement contestable me pose problème", reconnaissait le ministre allemand de la Défense Karl-Theodor zu Guttenberg, de l'Union chrétienne-sociale (CSU), dans un entretien au journal suisse Neue Zürcher Zeitung.
Une telle affaire "doit relever des règles de droit, y compris chez nous", ajoutait le ministre pour qui, outre la question de jurisprudence, il y allait également des bonnes relations avec la Suisse.
Une affaire semblable, en février 2008, avait provoqué une brouille entre l'Allemagne et le Liechtenstein après que les services secrets allemands eurent acheté, pour près de cinq millions d'euros, des données bancaires volées à Vaduz.
Le fisc allemand avait pu contrôler près d'un millier de contribuables, dont le patron à l'époque de la Deutsche Post, Klaus Zumwinkel, condamné par la suite à une peine de prison avec sursis et à un million d'euros d'amende pour évasion fiscale.
L'Allemagne avait également partagé ses informations sur les fraudeurs avec nombre d'autres pays européens.
Le ministère des Finances se refusait dimanche à commenter les informations de presse, sans les démentir.
Le président de l'Association allemande des inspecteurs du fisc, Dieter Ondracek, s'exprimant dans le quotidien Bild à paraître lundi, estimait qu'acheter des données bancaires ne relèverait pas pour le gouvernement du recel.
"Il n'y a aucune différence entre un ministre des Finances qui paye pour de telles informations et un magistrat qui offre une récompense pour l'arrestation d'un criminel", selon M. Ondracek.
Et les contribuables qui payent honnêtement leurs impôts ont le droit d'exiger que les fraudeurs soient punis, car "comment un retraité avec 500 euros par mois pourrait-il accepter que le fisc fasse pression sur lui alors que les gros comptes en Suisse s'en tirent sans dommage", a-t-il ajouté.
Comme preuve de sa bonne foi, l'informateur aurait déjà fourni au fisc les données concernant cinq comptes, susceptibles de rapporter environ un million d'euros chacun aux caisses de l'Etat.
L'utilisation de données bancaires illégales est "difficile pour un Etat de droit", car cela reviendrait à "faire affaire avec des criminels", a estimé dimanche la présidente suisse Doris Leuthard interrogée par l'agence ATS.
Si elle se confirmait, cette affaire pourrait porter un coup de plus au secret bancaire, jalousement défendu par Berne, mais attaqué de toute part depuis le début de la crise économique.
La Suisse vient d'ailleurs à peine de régler une affaire presque similaire avec la France, qui a obtenu des données volées par un employé d'une filiale de la banque britannique HSBC à Genève. Ces données ont permis à Paris d'établir une liste de 3.000 contribuables soupçonnés d'évasion fiscale.