par Simon Carraud
PARIS (Reuters) - La question européenne a brutalement ressurgi dans le débat français à l'occasion de la sortie du Royaume-Uni de l'Union, qui crée un précédent et pousse des responsables politiques à réclamer l'organisation d'un référendum en France.
Voyant dans le "Brexit" le révélateur d'un mal profond, la classe politique juge désormais urgent de rebâtir la maison européenne, dont les fondations sortent plus ébranlées encore qu'après le "non" français au traité constitutionnel, en 2005.
A l'unanimité, les dirigeants des grandes formations estiment que l'UE, devenue trop technocratique, a perdu ces dernières années le fil avec le peuple au sens large.
"On n'a pas su lui parler, on n'a pas su s'adresser à lui, on n'a pas su dessiner de manière sensible et juste ce que l'avenir pourrait être", a déploré sur BFM TV François Bayrou, l'un des derniers fédéralistes de la classe politique.
"La question de l'Europe et d'un référendum va être l'une des questions centrales de l'élection présidentielle (de 2017)", anticipe le dirigeant centriste.
Se pose donc la question de la tenue en France d'une consultation, qui pourrait porter sur une réorientation du projet européen - une option privilégiée par certains à droite - ou sur une sortie sèche de l'UE, réclamée par le Front national et, en des termes différents, la gauche de la gauche.
Dès les premiers résultats connus à Londres, la présidente du FN, Marine Le Pen, a renouvelé sa demande de reproduire en France l'exemple britannique.
"Ce référendum sur l'appartenance de la France à l'Union européenne est une nécessité démocratique. Les Français doivent pouvoir choisir eux aussi cette voie de la liberté qui rendra à la France sa pleine et entière souveraineté", a-t-elle dit.
"Le Royaume-Uni vient d'initier un mouvement qui ne s'arrêtera pas. (...) J'espère que les initiatives vont émerger pour provoquer autant de répliques que possible de ce Brexit. J'y crois. Je pense que le mouvement est enclenché vers la fin de l'Union européenne telle que nous la connaissons."
"UNE BONNE AFFAIRE POUR MARINE LE PEN"
La jurisprudence britannique permet à l'extrême droite de trancher plus nettement ses débats internes sur l'UE et de faire apparaître un "Frexit" comme un horizon possible.
"C'est une bonne affaire pour Marine Le Pen parce que l'un des freins au vote FN, c'est la question européenne. Pour les cadres, les personnes âgées, c'est un saut dans l'inconnu avec la fin de l'euro", diagnostique Frédéric Dabi, directeur adjoint de l'Ifop. "Mais le vote au Royaume-Uni, c'est un précédent."
Le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon plaide lui aussi pour une rupture avec l'Europe actuelle.
"Je crois que c'est une occasion extraordinaire pour la France de revenir sur le devant de la scène et de proposer de tout autres méthodes. Naturellement, pour cela, il faut sortir des traités existants", a dit le co-fondateur du parti.
D'après lui, "si nous laissons aller les choses comme elles sont et comme elles vont, alors il n'y aura plus qu'une alternative: changer l'Europe ou la quitter".
Aux yeux de l'exécutif français, il est donc vital de tendre un cordon sanitaire autour du Royaume-Uni pour éviter toute contagion, disait-on de source ministérielle et diplomatique avant le scrutin britannique.
Paris a donc l'intention de faire preuve de fermeté avec les partants, confiait un ministre français en privé.
A droite, il s'agit moins de savoir s'il faut sortir de l'UE - la réponse est "non" - que de refonder les institutions, au besoin en passant par un référendum.
"NOUVEL ACCORD"
"Ce projet, il faut le bâtir évidemment avec nos amis allemands mais aussi avec les six Etats fondateurs de l'Union européenne (...). Ce projet ensuite (...), il faudra le proposer par référendum au peuple français", a dit sur iTELE Bruno Le Maire, candidat à l'investiture de son camp 2017.
Pour l'instant favori à la primaire de la droite, l'ancien Premier ministre Alain Juppé considère également que "rien ne sera plus comme avant" et qu'il faut "écrire une nouvelle page, un nouveau chapitre de l'Histoire de l'Europe".
Il est donc nécessaire selon lui de convenir avec l'Allemagne, puis avec un groupe de pays volontaires d'un "nouvel accord", préalable à la tenue d'un référendum dans les pays concernés par les traités rénovés.
"C'est la responsabilité des gouvernements (...) d'avoir le courage de proposer une nouvelle Europe et à ce moment-là de la soumettre en même temps au vote des peuples qui sont prêts à s'engager dans cette voie", a-t-il déclaré à la presse.
Même si les candidats à la primaire s'accordaient sur la nécessité d'une refondation européenne, le maire de Bordeaux se refusait jusqu'à présent, comme Nicolas Sarkozy et François Fillon, à évoquer l’idée de recourir à un référendum.
Le mois dernier, Nicolas Sarkozy avait rejeté sans ambiguïté, dans un entretien au Monde, l'hypothèse d'un référendum sur les questions européennes, "qui sont de la compétence de la représentation parlementaire".
Alain Juppé et Bruno Le Maire se gardent toutefois de proposer un vote sur le modèle britannique, qui se solderait à coup sûr par le même résultat.
"Organiser un référendum aujourd'hui en France, c'est offrir une victoire sur un plateau à Madame Le Pen", a estimé Alain Juppé sur Europe 1.
(Avec Sophie Louet et Ingrid Melander)