Renoncer temporairement à la vie de retraité pour réintégrer son entreprise ? En Allemagne, ils sont nombreux à faire ce choix, qui leur assure une transition en douceur vers la retraite et, à leur employeur, la possibilité d'exploiter leur précieux savoir-faire.
"Etre à la retraite du jour au lendemain n'est pas facile", témoigne Emil Kniel. Cet ingénieur de 62 ans a effectué presque toute sa carrière chez Daimler (XETRA:DAIGn), fabricant des voitures Mercedes-Benz.
Il a assisté en 1992 à la naissance de l'usine de Rastatt (sud-ouest), à la frontière française. Et pendant plus de vingt ans, y a porté le matricule 430.
Depuis avril, il est en préretraite. Et dès le mois suivant il s'est remis au travail, dans le cadre du programme "Space Cowboys" - référence au film de Clint Eastwood sur des astronautes retraités qui reprennent du service - mis en place en 2013 par le constructeur automobile.
"Je travaille trois jours par semaine (...), c'est une transition idéale", estime-t-il.
"Le transfert à la jeune génération du savoir-faire, pour qu'il reste dans l'entreprise, est au cœur de cette initiative", explique Christina Joos, du service du personnel de Daimler.
Avec l'accord du comité d'entreprise, les retraités reviennent pour des missions de six à neuf mois dans les services de production, de recherche et développement ou d'informatique, et reçoivent une rémunération indexée sur leur ancien salaire. Daimler dispose d'un vivier de 600 intéressés dans le pays et recense 260 missions depuis le début du programme.
- Bosch et Otto aussi -
A Rastatt, Emil Kniel est responsable d'une petite équipe qui travaille sur l'adaptation du site au vieillissement de ses salariés. Avec ses collaborateurs, dont une étudiante de 23 ans, il a imaginé des systèmes permettant aux ouvriers d'être assis, et non plus debout, sur la chaîne de montage.
"Les jeunes collègues apportent un certain dynamisme, une certaine légèreté, ils n'ont aucun problème avec l'utilisation de nouveaux médias" tandis que les retraités sont "des gens expérimentés, qui ont un certain sang-froid et une vue globale", juge Emil Kniel. Au final, "le mélange prend".
"C'est du gagnant-gagnant" pour l'entreprise et le retraité, assure le sexagénaire.
L'initiative de Daimler n'est pas un cas isolé. L'équipementier automobile et fabricant d'électroménager Bosch a mis sur pied dès 1999 une filiale pour constituer un groupe d'experts-retraités. Quelque 1.600 personnes, travailleurs spécialisés ou cadres, figurent dans ses fichiers pour des missions en Allemagne ou ailleurs.
Otto, géant de la vente à distance, l'a imité en 2012 et dispose d'un portefeuille d'environ 50 volontaires dans lequel il pioche, par exemple pour remplacer un ancien système informatique développé en interne.
- 'Du beurre dans les épinards' -
"Le retraité qui revient ne vole la place de personne", souligne Jennifer Buchholz, porte-parole d'Otto. "Il ne s'agit pas d'un poste à temps plein, mais d'un projet limité dans le temps pour lequel des connaissances spécifiques sont requises", assure-t-elle.
Pour les intéressés, si le revenu versé permet "évidemment de mettre du beurre dans les épinards, ce n'est pas la seule motivation", estime Mme Buchholz, pour qui "le sentiment d'être utile et la transmission du savoir sont également importants".
IG Metall, le plus grand syndicat d'Allemagne, regarde avec scepticisme ces initiatives. "Cela ne sera jamais un phénomène de masse", lance Roman Zitzelsberger, chef de la circonscription du Bade-Wurtemberg, fief de Daimler et Bosch. En tout cas "cela ne permettra pas de combler les besoins en personnel qualifié à l'avenir", observe-t-il.
La pénurie de main-d'œuvre, estimée à 1,8 million de personnes en Allemagne à l'horizon 2020, est une inquiétude prononcée des milieux économiques, dans un pays vieillissant.
D'ores et déjà, de plus en plus de personnes âgées occupent un emploi dans la première économie européenne, en partie - mais pas seulement - à cause du relèvement progressif à 67 ans de l'âge d'entrée en retraite. En 2014, 14% des 64-69 ans étaient encore en activité, contre 6% en 2005.
Emil Kniel, lui, se voit bien continuer à travailler "encore un à trois ans, si la santé est là".