PARIS/BELFORT (Reuters) - "Extravagant", "faute politique", "mauvaise décision" : le gouvernement français a fustigé mercredi le veto opposé par la Commission européenne au rapprochement entre Alstom (PA:ALSO) et Siemens (SIX:SIEGn), un dénouement qui ravit en revanche les syndicats français.
Pour l'exécutif, la décision annoncée par la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, prive l'Europe d'un champion du rail à même de faire face à la concurrence internationale, particulièrement celle du mastodonte chinois CRRC.
"La décision de la Commission est une mauvaise décision, c'est un mauvais coup à l'industrie européenne et elle me semble avoir été prise sur de mauvais fondements", a tonné le Premier ministre, Edouard Philippe, lors d'une séance de questions à l'Assemblée nationale.
"C'est le mauvais choix pour l'Europe, pour l'industrie européenne, pour nos entreprises", a abondé son ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, dans les couloirs du Sénat.
Au-delà des enjeux purement économiques et industriels, le veto européen tient de la "faute politique", à en croire le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, car il peut donner le sentiment "que les décisions nous échappent".
Désormais, Paris prépare, avec l'appui de Berlin, la riposte afin de faire évoluer une conception du droit de la concurrence "incroyablement datée", selon les mots d'Edouard Philippe.
"NOUS FINIRONS PAR ROULER DANS DES TGV CHINOIS"
France et Allemagne reprochent en effet à la Commission d'avoir limité son analyse au seul marché intérieur européen, où le groupe issu de la fusion Alstom-Siemens dans le ferroviaire aurait occupé une position ultra dominante sur certains marchés, sans tenir compte du contexte mondial.
Selon la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher, affectée à Bercy, la France proposera d'ici aux élections européennes, programmées fin mai, des "pistes" destinées à "rendre le droit européen de la concurrence plus adapté aux nouvelles réalités économiques mondiales".
Et, a-t-elle ajouté lors de son intervention à l'Assemblée nationale, "il ne faut pas se priver de réfléchir à un pouvoir de veto du Conseil européen comme c'est le cas aujourd'hui en France et en Allemagne".
Si c'était le cas, ce serait une révolution dans le fonctionnement des services européens chargés de la concurrence, totalement indépendants, et cela requerrait un très hypothétique changement des traités à l'unanimité des Etats membres.
La France fera également des propositions "sur le renforcement de l'industrie européenne face à la montée en puissance de la Chine", selon Bruno Le Maire.
Les responsables français sont au moins en partie sur la même longueur d'onde que leurs homologues allemands, à l'image du ministre de l'Economie, Peter Altmaier, qui prône lui aussi une retouche du droit européen de la concurrence.
LES SYNDICATS SATISFAITS
En France, une partie de l'opposition a également déploré le verdict.
"Avec des décisions aussi absurdes, nous finirons par rouler dans des TGV chinois", a jugé le député et président de l'UDI (centre) Jean-Christophe Lagarde dans un communiqué. "Avec les règles actuelles de la concurrence nous serions bien incapables de refaire Airbus", aux yeux du député socialiste Boris Vallaud, qui s'est exprimé devant la presse parlementaire.
Mais, selon l'eurodéputé Franck Proust, chef de la délégation Les Républicains à Strasbourg, les critiques françaises sont aussi une façon pour le gouvernement de "se défausser" sur Bruxelles de ses propres responsabilités dans la gestion du dossier Alstom.
A l'issue d'un entretien avec Emmanuel Macron à l'Elysée, Marine Le Pen a pour sa part salué l'annulation d'un mariage qui revenait, selon elle, à "brader totalement un des derniers fleurons" de l'industrie française, pourtant en bonne santé.
Les syndicats français d'Alstom, opposés depuis le début à la fusion pour des questions notamment d'emploi et de la préservation de l'autonomie de l'entreprise, se sont eux aussi réjouis du dénouement.
Pour Boris Amoroz, délégué syndical central de la CGT, la décision de la Commission permet d'envisager des projets alternatifs, comme "l'entrée de l'Etat au capital" ou la rédaction d'un pacte d'actionnaires.
"Les Chinois, c’est la tarte à la crème utilisée par le gouvernement. CRRC est déjà un partenaire majeur d’Alstom et ils n’ont pas de perspective d’entrée sur le marché européen, sauf s’ils rachètent des usines", a-t-il dit à Reuters.
André Fages, délégué CFE CGC élu au comité Europe, estime que si la fusion avait été acceptée, "on serait dans une situation financière moins bonne qu’aujourd’hui" parce que le montage financier incluait un apport de dette de Siemens pour équilibrer le poids des deux sociétés au capital.
Il rappelle que les carnets de commande d’Alstom sont "pleins à quatre ans" et que l'opération aurait entraîné une "absorption" de l'entreprise par Siemens.
"Quand le projet de fusion a été lancé, ils connaissaient les règles de la concurrence européenne, ils connaissaient les overlaps (doublons) et ils y sont quand même allés. On les a avertis, ils ont traité ça avec mépris", a-t-il dit.
(Simon Carraud, avec Jean-Baptiste Vey à Paris et Gilbert Reilhac à Belfort, édité par Yves Clarisse)