par Sam Wilkin et Angus McDowall
DUBAI/RYAD (Reuters) - Des manifestants iraniens ont envahi l'ambassade d'Arabie saoudite à Téhéran dans la nuit de samedi à dimanche, après l'exécution dans le royaume wahhabite de 47 condamnés, dont un haut dignitaire chiite.
Des manifestants s'étaient massés devant les portes de l'ambassade pour protester contre l'exécution du cheikh Nimr al Nimr, virulent critique du régime saoudien. Ils ont réussi à pénétrer dans l'enceinte et ont commencé à y mettre le feu avant d'être chassés par la police, rapporte l'agence de presse iranienne Isna.
Un des clichés diffusés sur les réseaux sociaux montre une salle saccagée et des meubles brisés, sous un portrait du roi Salman d'Arabie saoudite.
Peu après, le ministère iranien des Affaires étrangères a publié un communiqué appelant au calme et demandant aux manifestants de respecter les lieux diplomatiques, rapporte le site internet Entekhab.
Hossein Sajedinia, chef de la police de Téhéran cité par l'agence Isna, a annoncé l'arrestation d'un nombre indéterminé "d'éléments incontrôlés". Le parquet iranien a fait état de l'interpellation de 40 personnes.
L'affaire semble avoir balayé les espoirs de constitution d'un front commun contre les djihadistes de l'Etat islamique, susceptible d'ouvrir la voie à un rapprochement entre deux puissances du Golfe qui s'affrontent indirectement en Syrie et au Yémen.
La quasi-totalité des 47 hommes exécutés samedi en Arabie saoudite étaient des sunnites condamnés pour des attentats commis par Al Qaïda il y a une dizaine d'années mais c'est le sort du cheikh Al Nimr et de trois autres chiites, accusés d'avoir participé à l'agression de policiers en 2011-2013, qui a retenu l'attention.
"VENGEANCE DIVINE"
Les proches du cheikh Nimr ont annoncé dimanche avoir été informés par les autorités saoudiennes que sa dépouille avait été inhumée "dans un cimetière musulman" et ne serait pas remise à la famille.
"Le sang injustement versé du martyr opprimé va, à n'en pas douter, faire son effet et la vengeance divine va s'abattre sur la classe politique saoudienne", a promis dimanche l'ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la Révolution iranienne, cité par la télévision publique.
La veille, sur son site internet, il avait diffusé un montage photo montrant deux bourreaux, l'un saoudien et l'autre de l'Etat islamique, sous le sous-titre "Quelle différence ?".
Condamnant lui aussi l'exécution du cheikh, qu'il juge "inhumaine", le président iranien Hassan Rohani a réclamé des poursuites à l'encontre des "extrémistes" qui s'en sont pris à l'ambassade saoudienne ainsi qu'au consulat saoudien de Mashhad, dans le nord du pays, et a promis que la sécurité des missions diplomatiques serait assurée.
Les Gardiens de la révolution (Pasdaran), organisation paramilitaire qui dépend directement de l'ayatollah Khamenei, ont quant à eux brandi la menace d'"une terrible vengeance" contre la famille royale saoudienne, qui "provoquera la chute de ce régime pro-terroriste et anti-islamique".
L'ambassadeur d'Iran à Ryad a été convoqué au ministère des Affaires étrangères. Dimanche, les Emirats arabes unis, alliés de Ryad, ont également convoqué l'ambassadeur d'Iran et lui ont remis une note de protestation.
En Irak, où le gouvernement majoritairement chiite est proche de l'Iran, plusieurs personnalités politiques et religieuses ont demandé la rupture des relations diplomatiques avec l'Arabie saoudite, s'interrogeant sur la volonté de Ryad de mettre sur pied une alliance régionale contre l'Etat islamique.
INQUIÉTUDE À TRAVERS LE MONDE
Le grand ayatollah Ali Sistani, le plus haut dignitaire chiite d'Irak, a quant à lui condamné "une agression injuste".
Du point de vue saoudien, les 47 exécutions de samedi visent à décourager le djihadisme en Arabie saoudite, victime elle aussi d'attentats sunnites qui ont fait des dizaines de morts l'an dernier.
Certains observateurs estiment que l'exécution des quatre chiites était un moyen pour le pouvoir de prouver qu'il ne fait pas de distinction entre chiites et sunnites quand il s'agit de punir les responsables de violences politiques.
La famille Al Saoud craint d'être renversée face à la montée en puissance des djihadistes sunnites en Syrie et en Irak. En outre, l'accord sur le programme nucléaire iranien, soutenu par les Etats-Unis, principal allié de l'Arabie saoudite, n'a rien fait pour apaiser les inquiétudes de Ryad.
Les alliés occidentaux de la monarchie wahhabite, qui sont nombreux à lui vendre des armes, s'inquiètent de leur côté de la nouvelle assurance dont elle fait montre à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières.
Le département d'Etat américain a estimé que l'exécution de Nimr al Nimr risquait "d'exacerber les tensions interreligieuses au moment où il y a un besoin urgent de les réduire" et appelé les dirigeants des pays de la région à "redoubler d'efforts" pour apaiser les tensions dans la région.
La représentante de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, s'est exprimée en des termes similaires.
Les partisans de l'Etat islamique ont pour leur part appelé à des représailles contre des soldats et des policiers saoudiens dans un message sur Telegram, rapporte SITE, un service de surveillance des sites internet islamistes.
L'exécution simultanée des 47 hommes - 45 Saoudiens, un Egyptien et un Tchadien - est la plus importante pour des infractions liée à la sécurité en Arabie saoudite depuis celle, en 1980, de 63 djihadistes condamnés pour l'attaque de la grande mosquée de La Mecque, l'année précédente.
(Avec Sami Aboudi, Sam Wilkin, Noah Browning, Omar Fahmy et Katie Paul; Pierre Sérisier, Jean-Philippe Lefief, Danielle Rouquié et Guy Kerivel pour le service français)