par Jean-François Rosnoblet
MARSEILLE (Reuters) - Incontournable sur sa terre d'élection du Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen est devenue un élément clé du Front national et un appui indispensable dans la conquête du pouvoir programmée par sa tante Marine Le Pen en 2017, malgré leurs divergences.
Les derniers scrutins électoraux dans le sud-est de la France, place-forte du mouvement d'extrême droite, ont illustré le poids du FN dans ce territoire fracturé, où le mouvement s'est ancré sous l'influence de la benjamine du clan Le Pen, députée du Vaucluse depuis 2012.
Les listes conduites par la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, co-fondateur du Front national en 1972 avant d'en être exclu l'an dernier, y font aujourd'hui jeu égal avec celles de la droite, qui n'a obtenu la présidence du conseil départemental du Vaucluse, en mars 2015, qu'au bénéfice de l'âge.
Elles ont largement contribué aussi à laminer une gauche chassée des exécutifs départementaux et régionaux qu'elle détenait depuis plusieurs mandats, obligeant même le PS à se saborder en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) pour empêcher l'arrivée du FN à la tête de la troisième région de France.
"C'est d'ici que part la conquête du pouvoir en 2017", avait déclaré en décembre Marion-Maréchal Le Pen, au lendemain d'un scrutin régional qui l'a laissée seule opposante face au président de l'exécutif, Christian Estrosi (Les Républicains).
Le Vaucluse a offert au FN l'un de ses deux députés et son plus beau score aux régionales puisqu'il a été le seul département à le placer en tête aux deux tours de l'élection.
Si la région lui a au final échappé, Marion-Maréchal Le Pen s'est imposée un peu plus à chaque tour de scrutin.
PARTITION TRES PERSONNELLE
Au point de devenir aujourd'hui incontournable en PACA et sur le plan national, où à 26 ans la benjamine de l'Assemblée nationale fait de plus en plus entendre une partition très personnelle.
"Il y a un alignement des planètes entre le discours idéologique qu’elle porte, la stratégie qu’elle met en place et la situation politique qui prévaut", explique le sociologue et politologue Joël Gombin.
Ses proches louent son "sens politique" qui lui permet de "faire les bons choix". Comme dans la tourmente familiale qui a opposé la présidente du FN à son père Jean-Marie Le Pen, quand la députée du Vaucluse a réussi à préserver de bonnes relations avec les partisans des deux camps.
Le ralliement in extremis de son grand-père à sa cause lors des régionales de décembre a conforté son aura et renforcé sa légitimité politique, une stratégie gagnante que certains au sein du parti aimeraient voir pousser plus avant.
Mais si elle veut garder sa liberté de parole, Marion Maréchal-Le Pen refuse le piège d'un affrontement avec sa tante.
Ses récentes déclarations sur son appartenance à une "génération un peu saoulée par les valeurs de la République" lui ont permis d'exposer sa vision des valeurs sociétales.
Mais elle a renouvelé dans la foulée son allégeance à Marine Le Pen en dénonçant ces "médias bien peu scrupuleux pour souffler les braises d'une division fantasmée".
Les stratégies de la tante et de la nièce semblent en fait complémentaires. "Les différences de discours entre Marine Le Pen et sa nièce tiennent au fait que les deux femmes ne sont pas dans la même situation stratégique", juge Joël Gombin.
SYNTHÈSE
Selon cet auteur d'une étude sur l'implantation du FN en Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen a une vision stratégique très claire, qui est qu'on ne peut gagner qu'à droite et qu'il faut dépasser les limites de l'extrême droite pour être majoritaire.
"Sur ses terres, Marion Maréchal-Le Pen crée une forme de synthèse qui permet de faire cohabiter des lignes et des tendances biens distinctes; des transfuges issus des rangs des Républicains aux cadres du mouvement identitaire en passant par les nationaux-catholiques", dit le politologue.
"Elle fait un travail que ne fait pas Marine Le Pen, qui n’est pas dans le champ d’une idéologie mais davantage dans la production d’un programme."
La présidente du FN ne peut en outre se passer du soutien de sa nièce, surtout au moment où le FN entend faire le ménage dans une région clé pour 2017 en chassant de son bureau politique des cadres historiques, tel Bruno Gollnisch, bien implantés et "garants de la tradition frontiste" en PACA.
Le parachutage de Marion Maréchal-Le Pen en 2012 dans la circonscription de Carpentras relevait déjà de cette stratégie. Face à une droite affaiblie, il s'agissait d'envoyer une personnalité capable de fixer l'attention des médias dans un département qui était déjà l'un des meilleurs en France pour le FN, mais dans une fédération locale qui souffrait de l'absence de leader et d'une faiblesse structurelle.
L'HÉRITIÈRE DU CLAN ?
Trois ans plus tard, le record historique des voix enregistré en PACA à l'élection régionale (45,22%) a validé cette stratégie, même s'il n'a pas suffi à masquer l'échec du mouvement qui n'est pas parvenu à remporter une seule région.
"Le problème de Marine Le Pen est de se créer un socle électoral propre et solide. C’est le sens de la stratégie déployée depuis 2011, qui place gauche et droite dans le même sac pour viser le segment des électeurs anti-libéraux, économiquement et culturellement", explique un cadre du parti. "C'est une bonne stratégie de premier tour, mais qui ne permet pas de l’emporter au second."
Pour cela, il faudrait selon lui basculer vers l'orientation prônée par sa nièce, un passage à haut risque pour le mouvement, avec cette "crainte de perdre d'un côté ce que l'on gagne de l'autre" qui nourrit les débats stratégiques au sein du FN.
Pour l'instant, la présidente du mouvement et sa nièce se font discrètes dans les médias, attendant la venue d'une campagne présidentielle où elles seront très exposées.
"Personne au Front national ne joue véritablement la victoire en 2017", estime Joël Gombin. "Ce qui se joue, c’est un très bon score de premier tour, une capacité à peser sur le second et la constitution d’un groupe important à l'Assemblée."
A court terme, les intérêts de la tante et de la nièce sont donc convergents, chacune ayant intérêt au succès de l'autre.
"Mais, dans une course, deux c'est toujours un de trop", dit le politologue, qui estime que "certains voudront faire les comptes" en cas de revers électoral, lequel pourrait pousser Marion Maréchal-Le Pen sur le devant de la scène.
"Elle a pour cela la triple légitimité du nom, de l'élection et du poids en interne au parti", résume Joël Gombin. "Cela lui donne une très grande liberté de ton, même si cela n'en fait pas l’héritière désignée de son grand-père."
(Edité par Yves Clarisse)