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Prison ferme requise dans le dossier des suicides à France Télécom

Publié le 05/07/2019 21:17
Mis à jour le 05/07/2019 21:21
Prison ferme requise dans le dossier des suicides à France Télécom

par Emmanuel Jarry

PARIS (Reuters) - Pour la première fois pour une entreprise de cette taille, le ministère public a requis vendredi de la prison ferme pour harcèlement moral et complicité contre sept anciens dirigeants de France Télécom, devenue Orange en 2013, qui a connu une vague de suicides de salariés entre avril 2008 et juin 2010.

Un an de prison assorti de 15.000 euros d'amende a ainsi été requis à l'encontre de l'ancien PDG Didier Lombard, 77 ans, de son ancien directeur des ressources humaines Olivier Barberot, 64 ans, et de l'ex-directeur des opérations France, Louis-Pierre Wenes, 70 ans, jugés pour harcèlement moral.

Hasard du calendrier judiciaire : le successeur de Didier Lombard, Stéphane Richard, saura mardi s'il est condamné dans l'affaire de l'arbitrage en faveur de l'homme d'affaires Bernard Tapie dans son contentieux avec le Crédit Lyonnais - l'actuel PDG d'Orange était alors directeur de cabinet de la ministre de l'Economie et des Finances de l'époque, Christine Lagarde.

Le ministère public a par ailleurs demandé huit mois de prison et 10.000 euros d'amende à l'encontre de quatre autres anciens dirigeants jugés pour complicité, ainsi qu'une amende de 75.000 euros contre France Télécom en tant que personne morale.

"Les peines encourues à l'époque sont tellement faibles qu'il faut demander le maximum", a dit une des deux procureures, Brigitte Pesquié, qui a requis la publication du futur jugement.

Ce procès, inédit à cette échelle, est celui du "crash plan" mis en oeuvre par l'opérateur historique français de télécommunications en 2006-2010 pour réduire en trois ans ses effectifs de 22.000 personnes et en transférer 10.000 autres.

L'accusation reproche à l'entreprise et ses anciens dirigeants d'avoir instauré une politique visant par toutes sortes de moyens à "déstabiliser" les salariés afin de les contraindre à partir.

L'ordonnance de renvoi en correctionnelle a retenu le cas de 39 victimes, dont 18 suicides et 13 tentatives en deux ans.

Mais Brigitte Pesquié a souligné que cela concernait un "nombre énorme de personnes", bien au-delà de ces 39 cas. "Votre tribunal va juger des chauffards du travail", qui ont "abusé de leur autorité" et agi pratiquement "en bande organisée", a-t-elle déclaré à l'adresse de la cour.

Les parties civiles se sont déclarées satisfaites de ce réquisitoire malgré la modestie relative des peines demandées.

JURISPRUDENCE

"C'est sans commune mesure avec l'ampleur des souffrances qui ont été provoquées", a ainsi dit Me Sylvie Topaloff, avocate du syndicat Sud. "Je ne dis pas qu'il s'agit du procès des suicides, car la souffrance est allée bien au-delà."

L'un des avocats des prévenus, Me Patrick Maisonneuve, a en revanche estimé que les procureurs n'avaient pas apporté la preuve de leur "responsabilité pénale personnelle".

La première procureure à parler, Françoise Benezech, avait rappelé que les managers de France Télécom étaient notamment formés à l'époque à "l'utilisation de la méthode du 'sepuku management'" visant à culpabiliser des collaborateurs pour les inciter à démissionner - le mot "sepuku" désigne le suicide rituel japonais familièrement connu sous le nom d'"hara kiri".

La magistrate, qui n'a pas hésité à parler de "banalisation du mal", a reproché aux prévenus de s'être inscrits dans "une logique financière" et a émis l'espoir que ce dossier de 100.000 pages ferait jurisprudence.

"Le but de ce procès n'est pas de porter un jugement de valeur moral sur vos personnes", a-t-elle dit à l'adresse des prévenus. "C'est de démontrer que l'infraction pénale de harcèlement moral peut être constituée par une politique d'entreprise, par l'organisation du travail."

Des dizaines de témoins, experts et ex-salariés de France Télécom ou proches d'employés qui se sont suicidés ont été entendus à la barre pendant deux mois.

Ils ont raconté les réorganisations multiples, les mutations forcées, les contrôles tatillons, la surcharge ou au contraire l'absence de travail, les pressions de toutes sortes.

L'inspectrice du travail auteure du signalement à l'origine du procès, Sylvia Catala, a accablé l'ancienne direction. "On demandait au salarié de se trouver un poste après lui avoir signifié que son poste était supprimé", a-t-elle notamment dit.

Elle a également assuré n'avoir jamais rencontré tant de témoignages écrits de mal-être au travail et déploré que les alertes n'aient pas été suivies d'effet.

Les sept ex-dirigeants ont pour leur part maintenu tout au long du procès leur ligne de défense, niant leur responsabilité dans la vague de suicides ou de dépressions et défendant les plans "Next" et "Act" de réduction de la masse salariale au nom des contraintes économiques qui pesaient alors sur l'entreprise.

(Avec Emma Cruz, édité par Sophie Louet)

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