par Gilles Guillaume
PARIS (Reuters) - La Plateforme de la filière automobile (PFA) a suggéré mercredi que les aides publiques françaises à l'achat de voitures électriques puissent être réservées à des véhicules "made in Europe" pour éviter qu'elles bénéficient surtout à des modèles importés, notamment de Chine.
Cette proposition radicale, en plein débat sur la réponse européenne au protectionnisme américain et chinois, pourrait s'inscrire dans le cadre du prochain contrat de filière en préparation avec le gouvernement pour la période 2023-2027.
"La possibilité d'un bonus réservé à des véhicules fabriqués sur le sol européen, à l'image de l'IRA (Inflation Reduction Act) aux Etats-Unis, fait partie des pistes de réflexion", a déclaré à Reuters Marc Mortureux, directeur général de la PFA, en marge d'une conférence sur l'éventualité d'un "Buy European Act".
"L'objectif est de donner à l'industrie européenne le temps de se consolider", a-t-il ajouté.
En France, le bonus écologique pour l'achat d'une voiture électrique peut atteindre aujourd'hui 5.000 euros, quelle que soit l'origine géographique du véhicule. En début d'année, l'américain Tesla (NASDAQ:TSLA) est devenu éligible à cette aide à la faveur d'une baisse de ses tarifs.
La décision européenne d'interdire les ventes de véhicules à moteur thermique en 2035 fait craindre que le continent ne dispose pas d'une offre alternative de véhicules électriques suffisante pour répondre à la demande, notamment sur le segment d'entrée de gamme.
L'Europe a mis en chantier sur son sol de nombreuses usines de batteries pour réduire sa dépendance vis-à-vis de l'Asie, mais elle risque de ne pas être prête à temps en cas d'offensive commerciale de véhicules électriques chinois plus abordables.
Le calendrier de mise en place en France du "leasing social" promis par le président de la République Emmanuel Macron - un système d'aide pour les ménages modestes permettant de s'offrir une voiture électrique dès 100 euros par mois - s'en est aussi trouvé retardé.
"La raison pour laquelle cette offre n'a pas été déployée dès le mois de juillet 2022, c'est justement pour ne pas en faire la porte d'entrée des véhicules chinois en Europe", a souligné David Amiel, député Renaissance et membre de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, lors de la conférence.
"On veut pouvoir structurer cette offre et (avoir) en face des constructions françaises et européennes qui puissent y répondre."
L'instauration d'une préférence européenne suscite toutefois de profonds désaccords au sein de l'Europe car elle va à l'encontre de la tradition de libre-échange du bloc. L'opinion des acteurs de la filière dépend aussi de leur propre exposition aux marchés américain ou chinois.
En préambule de la conférence, le président de la PFA Luc Chatel a agité la menace chinoise et qualifié le "Fit for 55" - l'objectif de l'UE visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'au moins 55% d'ici à 2030 - de "plus grand abandon de souveraineté de l'histoire."
"Un continent qui a inventé l'automobile, qui en maîtrise parfaitement toute la technologie de A à Z, avec une grande compétitivité, décide unilatéralement d'abandonner sa technologie et pire, de choisir la technologie que maîtrise le voisin concurrent", a-t-il déclaré.
Pour défendre son industrie, l'Europe peut aussi restreindre les importations par l'instauration de normes spécifiques, mais le processus prend du temps. Il peut également intégrer les produits transformés - dont les voitures - dans le mécanisme de taxation du carbone aux frontières de l'UE, actuellement limité aux matières premières, une évolution envisagée mais dont les détails sont encore à l'étude.
(Reportage Gilles Guillaume, édité par Jean-Michel Bélot)