Des quartiers populaires sans commerces alors que leurs habitants sont plus enclins à entreprendre qu'ailleurs: contre ce paradoxe, un fonds va investir 50 millions d'euros pour les aider à créer leur franchise chez de grandes enseignes.
Autour du quartier République à Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne), l'horizon est obstrué par les tours où s'entassent plus de 10.000 habitants. Mais au milieu, la résidence des Aulnes dénote avec ses murs blancs et châtaigne: quatre étages posés sur un parvis ouvert et en rez-de-chaussée, une enfilade de commerces avec leurs baies vitrées et terrasses.
A côté de la boucherie, de la brasserie bar-tabac et de la pharmacie, un local est encore vide. Il accueillera dans quelques mois un Carrefour (PA:CARR) City. Problème: comment un commerçant local peut-il se lancer dans l'aventure quand une franchise de ce type nécessite 300.000 euros d'investissements et qu'une banque ne prêtera pas plus de la moitié de cette somme ?
"Sur un exemple comme celui-là, notre fonds apporte 120.000 euros supplémentaires, qu'il remboursera après les cinq ans de son crédit bancaire. Donc l'apport personnel à fournir tombe à 30.000 euros", explique à l'AFP Mathieu Cornieti, président de la société Impact Partenaires, à l'origine du fonds.
La franchise, c'est "entrer dans l'entrepreneuriat avec une vraie sécurité", ajoute-t-il. Les 15 enseignes qu'il a réunies comme partenaires (Speedy, Burger King, OPC Pharma, Elephant Bleu...) connaissent bien moins de faillites que les indépendants.
Et si l'Etat dépense depuis des années pour repenser l'habitat dans les banlieues, c'est selon lui loin d'être suffisant. "On peut mettre des milliards d'euros dans du bâti avec la rénovation urbaine, ce qui fait vivre un quartier, c'est les commerçants", assure-t-il.
"Avec une nouvelle enseigne qui arrive, on se sent plus considérés", dit Sylvie Nab, venue acheter du pain. Sa vie a changé depuis que la résidence des Aulnes et ses commerces ont remplacé une immense barre et l'ancienne galerie commerciale à ses pieds.
- 'En sécurité' -
"Dans la galerie, il y avait de la délinquance. Maintenant sur la place, je me sens plus en sécurité", raconte cette habitante de 50 ans.
Derrière son comptoir, Benchaa Mahour aussi a le sourire. "Mon chiffre d'affaires a augmenté de 30% depuis qu'on a déménagé", s’enorgueillit le patron du Concorde, la brasserie bar tabac. Sans couloirs pour les cacher de la police, il a "moins de galères" avec des dealers ou des squatteurs.
Lui attend le futur franchisé avec impatience. "Les gens aiment avoir des commerces différents au même endroit, ça va nous ramener encore plus de monde", espère-t-il.
Dans la résidence, tous les commerçants louent leurs murs à l'Etablissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca). C'est cette agence spécialisée qui a travaillé sur l'attractivité du nouveau quartier.
"La manière dont les commerces s'intègrent à l'espace influe sur la sécurité, mais il y a d'autres facteurs qu'on ne peut malheureusement pas contrôler", explique sa directrice, Valérie Lasek.
Les cas de Franprix à Argenteuil (Val-d'Oise) et Casino à Grigny (Essonne) l'ont montré: les grands groupes sont prompts à abandonner les quartiers populaires en cas de violences.
"On peut travailler tous ensemble, public et privé, pour redresser les quartiers", veut croire M. Cornieti. Selon une étude de sa société, les 1.300 quartiers de la politique de la ville comptent un tiers de commerces en moins par rapport aux agglomérations qui les entourent. Et les commerçants de ces quartiers sont seulement 3,6% à être franchisés.
"Pourtant, il y a un marché", soutient-il. Environ 7% de la population française vit dans ces quartiers, selon l'Insee.
Avec ce discours, il a convaincu la Banque publique d'investissement, la Banque européenne d'investissement et divers acteurs privés de lui confier 50 millions d'euros. Et espère répliquer l'exemple de Bonneuil, pour créer 250 commerces franchisés dans d'autres quartiers.
"Ca représente 2.000 emplois et trois millions de recettes fiscales pour des communes souvent en difficulté", conclut-il.