Mettre des mots sur l'échec pour tenter de s'en sortir: dans les centres de prévention des difficultés des entreprises (CIP), les patrons au bout du rouleau peuvent se livrer sans pudeur et être conseillés pour rebondir.
Un jeudi après-midi, à quelques encablures des tours de la Défense. Un petit entrepreneur du bâtiment a pris rendez-vous au CIP de Nanterre pour un entretien gratuit et anonyme avec trois professionnels bénévoles, une experte-comptable, un juge consulaire à la retraite et un avocat.
Son histoire est classique: des commandes qui ont chuté l'an dernier, conséquence de l'attentisme traditionnellement de mise en année électorale, des retards de paiements qui s'accumulent, et des charges qu'il faut continuer à payer...
"On est en cessation de paiement", souffle ce chef d'entreprise, qui se retrouve avec 35.000 euros de découvert et 27.000 euros de dettes vis-à-vis de l'Urssaf.
Pour cet homme qui emploie sept salariés et qui ne se rémunère plus depuis un an, difficile d'y voir clair. Le carnet de commandes frémit de nouveau, comment poursuivre l'activité?
"Je ne vois que le redressement judiciaire", lui répond l'experte-comptable. "Mais il faut le préparer le plus en amont pour mettre toutes les chances de votre côté", acquiesce l'avocat, qui l'informe ensuite pendant plus d'une heure sur toutes les démarches à suivre pour continuer à travailler et éviter une liquidation judiciaire.
Accompagner les chefs d'entreprise sur le plan juridique, social mais aussi psychologique, telle est la tâche de la soixantaine de CIP répartis sur le territoire français. Chaque année, ces associations, qui font appel à diverses professions impliquées dans le redressement des entreprises, accueillent environ 3.000 patrons en quête d'informations et de soutien.
"Dans l'ensemble, ce sont des petits chefs d'entreprise isolés, qui n'ont pas de ressources", indique William Nahum, président du réseau national qui a fondé le premier CIP il y a 22 ans en Ile-de-France.
Souvent débordés, les petits entrepreneurs n'ont pas le temps de se pencher sur leurs dossiers administratifs et se retrouvent submergés par les procédures à effectuer pour redresser la barre en cas de difficultés.
- Regard neutre -
"L'idée, c'est que ces entretiens soient moins formels qu'au tribunal de commerce, qu'on parle sans fard", explique Françoise Spiri, une des bénévoles du CIP de Nanterre. "Souvent les entreprises n'ont plus de sous, il faut trouver à quelle stade elles se situent et quelle est la procédure la plus adaptée à leur cas", raconte cette experte-comptable, qui a aussi la casquette de commissaire aux comptes.
Confronté à de graves difficultés financières, Christopher Woodley, patron d'une petite entreprise industrielle employant trois personnes, s'est adressé à un CIP il y a environ deux ans.
"Ils ont été rassurants à un moment où je doutais", raconte-t-il. Dans ces associations, "vous rencontrez des gens compétents et vous avez un regard totalement neutre et objectif", apprécie le dirigeant, qui a depuis remonté la pente.
L'absence de jugement est un élément important de ces entretiens, souligne Laurence Duvigneaud, médecin-psychiatre du dispositif Apesa (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aigüe).
Ce réseau, créé à l'origine pour accompagner les patrons dans les tribunaux de commerce, a noué il y a deux ans an un partenariat avec les CIP pour former leurs bénévoles à repérer les signes de détresse chez les chefs d'entreprise et éventuellement lancer une alerte avant de leur proposer un suivi psychologique.
"La souffrance de l'entrepreneur, liée à un acte de liquidation, peut mener à un suicide", explique-t-elle, évaluant à environ 650 le nombre de dirigeants se donnant la mort par an.
L'écoute et le soutien apportés par les CIP aident les entrepreneurs en difficulté à se "désidentifier par rapport à ce qui s'est passé" et "à prendre en charge plus précocement la crise suicidaire".
"Le chef d'entreprise est considéré comme l'homme fort de la société", raconte-t-elle. Dans ce contexte, "la moindre faiblesse n'est pas audible", poursuit-elle, soulignant le "sentiment de faillite personnelle" ressentie lors d'un échec professionnel.
Car "les patrons de PME sont souvent des gens qui ont tout misé dans leur entreprise: leur vie, leur fierté, leur patronyme, leur famille, leurs salariés".