Apple (O:AAPL) et le gouvernement américain sont engagés dans un bras de fer ayant de vastes implications sur la manière dont les entreprises technologiques doivent travailler avec les forces de l'ordre.
Le groupe informatique américain refuse de se plier à une injonction judiciaire exigeant qu'il aide les enquêteurs du FBI à accéder au contenu crypté d'un iPhone utilisé par l'un des auteurs de l'attentat de San Bernardino, qui avait fait 14 morts en décembre en Californie.
L'affaire a créé un clivage important entre ceux qui estiment que l'utilisateur d'un appareil électronique tel qu'un smartphone doit pouvoir garder ses informations privées grâce au cryptage, et ceux qui jugent que les enquêtes légitimes des forces de l'ordre doivent primer.
Apple argumente que ce qu'on lui demande risque de rendre tous ses utilisateurs vulnérables, car le logiciel que réclame le FBI en Californie pourrait se retrouver par la suite entre les mains de criminels ou de gouvernements mal intentionnés.
"Apple veut maintenir la relation de confiance avec ses clients" et est persuadé "qu'aucun gouvernement ne devrait avoir accès à ces données", explique John Dickson, un partenaire de la société texane Denim Group, spécialisée dans les questions de sécurité et de cryptage.
Julian Sanchez du Cato Institute voit pour sa part dans l'affaire "un combat au sujet de l'avenir de la surveillance high-tech" et "de jusqu'où les entreprises technologiques et les créateurs de logiciels peuvent être enrôlés comme fournisseurs réticents d'outils de piratage pour les gouvernements".
- Question de vie ou de mort -
Certains font valoir qu'Apple est sur une position de principe visant à protéger ses utilisateurs.
"Le manque de protection de la vie privée peut être une affaire de vie ou de mort, ou d'emprisonnement", avance John Hanour, patron de la startup californienne USMobile qui a conçu une application pour chiffrer les messages mobiles.
"L'apostasie entraîne la mort en Arabie saoudite. L'homosexualité envoie des gens en prison au Pakistan. Et dans beaucoup de pays, l'adultère est puni par des coups de fouet ou une lapidation", explique-t-il.
"Les régimes autoritaires autour du monde salivent à la perspective de voir le FBI gagner", a aussi assuré Nate Cardozo, de l'Electronic Frontier Foundation, sur la chaîne PBS. "Si Apple crée le passe-partout que le FBI exige qu'il crée (pour rentrer dans l'iPhone), les gouvernements autour du monde vont exiger le même accès".
Certains de ceux qui critiquent la position d'Apple disent toutefois que le groupe aide probablement déjà le gouvernement chinois en modifiant les iPhone vendus sur ce marché.
"Peut-être peut-on expliquer pourquoi un système secret de cryptage que tout le monde soupçonne d'avoir une vraie porte dérobée, c'est suffisant pour les utilisateurs chinois?", écrit ainsi sur un blog Stewart Baker, un avocat ayant travaillé dans le passé pour le département américain de la Sécurité intérieure.
D'autres accusent Apple de fournir aux criminels un moyen d'opérer dans l'ombre.
"Apple et Google (O:GOOGL) ont créé les premiers produits grand public de l'histoire américaine qui résistent aux mandats judiciaires, et le résultat c'est que des crimes restent non résolus et des victimes se retrouvent sans protection", a accusé dans un communiqué le procureur new-yorkais Cyrus Vance, qui se plaint de voir de nombreuses enquêtes contrariées par des smartphones cryptés.
- L'effet Snowden -
Apple dit craindre un dangereux précédent, permettant par la suite aux forces de l'ordre d'obtenir de très larges accès. "Une fois les vannes ouvertes, elles ne peuvent pas être refermées, et la sécurité des appareils sur laquelle Apple a travaillé sans relâche sera annulée", argumente-t-il.
James Lewis, un expert du Centre d'études stratégiques et internationales de Washington ayant travaillé dans le passé pour le gouvernement américain, indique toutefois à l'AFP ne voir rien d'inhabituel dans l'affaire. "Le tribunal a décidé que c'était une demande raisonnable", dit-il.
Certains analystes font remonter les racines du conflit actuel à l'affaire Snowden. "Les révélations (d'Edward) Snowden ont montré que beaucoup d'agences gouvernementales pratiquaient une surveillance de tous les instants sur des citoyens, ce qui non seulement mine notre droit à la vie privée mais compromet également toute notre infrastructure de sécurité informatique", rappelle Rahul Telang, professeur à l'université de Carnegie Mellon.
Pour lui, le problème est difficile à résoudre mais l'argument de la vie privée va probablement gagner. "Maintenant que nous sommes au courant de l'espionnage du gouvernement, il y a un problème de confiance", dit-il. "Si on donne accès à une porte dérobée, où est-ce que ça s'arrêtera?"