Gentrification, constructions effrénées: le quartier new-yorkais de Long Island City, où Amazon (NASDAQ:AMZN) pourrait s'implanter avec 25.000 employés, est déjà en plein chamboulement, et certains craignent que l'arrivée du géant du commerce en ligne n'attise les tensions.
Pour l'instant, rien n'est sûr. Mais le New York Times a affirmé lundi dernier qu'Amazon, qui a lancé en septembre 2017 une bataille entre villes pour accueillir son deuxième QG, avait finalement décidé de couper la poire en deux: il aurait sélectionné deux nouveaux points d'ancrage, Crystal City, près de Washington, et Long Island City, à New York.
Pour ceux qui n'ont jamais franchi l'East River, qui sépare les quartiers de Manhattan et du Queens, Long Island City se résume à un signe rouge "Pepsi-Cola" géant, visible de Manhattan.
Cet assemblage de néons est un vestige de l'usine géante du groupe, fermée en 1999. Un rappel de ce que fut Long Island City, "LIC", durant la majeure partie du XXe siècle - un foyer industriel servi par la proximité du fleuve et un réseau ferré performant.
Avec la désindustrialisation, LIC a été contrainte de se réinventer au tournant du XXIème siècle, avec la radicalité propre à New York.
Des dizaines de tours ont poussé depuis dix ans, bureaux et habitations, amenant avec elles une population renouvelée, aux moyens supérieurs, et des entreprises comme Bloomingdale's, Ralph Lauren, Uber, séduites par la proximité avec Manhattan et les aéroports de La Guardia et John F. Kennedy.
Les bords de l'East River ont été réaménagés, un parc paysager est sorti de terre, envahi par les poussettes de marque et les joggeurs.
"Ils ont construit, construit, construit. Avec tout ce qu'il y a là, qu'Amazon arrive ou pas, c'est pareil", commente Pascal Escriout, propriétaire du restaurant Tournesol, à l'extrême sud de Long Island City. "Si ce n'est pas eux, ce sera d'autres."
"L'endroit a tellement changé ces dix dernières années que ce serait seulement un élément de plus dans le quartier", estime Mike Barratt, gérant d'un magasin de vélos dans le quartier de Hunters Point, au sud-ouest de LIC.
L'endroit exact où Amazon, à l'étroit dans son siège actuel de Seattle, pourrait s'implanter n'a pas été rendu public. Mais les possibilités ne manquent pas, dans cet ensemble hétéroclite où se côtoient modernité extrême et vieilles cheminées désaffectées.
- "Pas du tout cuit" -
Beaucoup comparent Long Island City à Williamsburg, quartier de Brooklyn qui constitue l'exemple de gentrification le plus marquant des vingt dernières années à New York.
De l'avis de beaucoup, le mélange prend difficilement entre les jeunes familles qui achètent à des prix élevés - mais bien inférieurs à ceux de Manhattan - et les anciens habitants du quartier.
"Beaucoup de gens louent depuis 15 ou 20 ans et doivent s'en aller car cela devient trop cher", explique Mike Barratt. "Donc ils sont fâchés."
Avec l'urbanisation galopante, Long Island City est devenue "une ville dortoir", regrette Pascal Escriout. "Les gens restent dans leur immeuble. Et quand ils sortent, ils vont à Manhattan."
Des dizaines d'immeubles supplémentaires - pour beaucoup destinés à des cadres moyens ou supérieurs comme ceux que devrait embaucher le groupe de Jeff Bezos - étaient prévus à Long Island City avant même qu'Amazon ne soit évoqué.
Au point de submerger le marché, selon Jonathan Miller, président du cabinet immobilier Miller Samuel.
L'arrivée d'Amazon "reviendrait à sauver les promoteurs qui ont continué (à construire) malgré une offre déjà excessive", fait-il valoir.
Beaucoup s'inquiètent aussi de l'impact qu'auraient 25.000 employés supplémentaires sur des transports publics déjà saturés et décatis.
"Ce n'est pas du tout cuit", a prévenu jeudi Jimmy Van Bramer, élu du quartier au conseil municipal de New York. "Avant qu'Amazon ne soit confirmé, nous devons nous assurer que nous pouvons le gérer et que des infrastructures viables seront en place pour éviter que la zone soit submergée."
"Nous ne pouvons pas laisser des habitants de longue date se faire sortir par la hausse des loyers et des transports surchargés", a-t-il ajouté.
Il a aussi fustigé le manque de transparence du processus, le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, parlant d'avantages promis à Amazon sans préciser leur nature.
"Je ferai tout ce qu'il faut pour que ça marche", a déclaré lundi dernier M. Cuomo, qualifiant la venue d'Amazon de "coup de fouet économique" pour tout l'Etat.
Le maire de New York, Bill de Blasio, est lui aussi optimiste.
"Il y aura des tracas, il y aura des défis, mais je pense que nous pouvons en venir à bout", a dit l'édile démocrate mercredi.