Moscou a minimisé mardi la portée de la rétrogradation par l'agence Standard & Poor's de la Russie en catégorie "spéculative", y voyant la volonté de Washington de saper son économie en plein regain de violences en Ukraine plutôt que le reflet de ses faiblesses.
Thermomètre d'une crise monétaire sans précédent en 15 ans de pouvoir de Vladimir Poutine pour les uns, nouveau coup de butoir pour les autres: le couperet est tombé lundi soir. L'agence de notation américaine considère la dette publique russe, désormais classée "BB+", comme un placement "spéculatif", ou "pourri" dans le jargon financier, au même titre que des Etats moins puissants comme la Bulgarie ou l'Indonésie.
Cette décision était redoutée après une année d'isolement croissant de la Russie, de chute des cours du pétrole -- sa principale source de revenus-- et d'effondrement de sa monnaie (-41% face au dollar).
Pour le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, elle est néanmoins "orientée" et "ne reflète pas la situation réelle".
"Il s'agit d'un instrument purement politique", a rejeté le Premier ministre Dmitri Medvedev, reconnaissant que cela allait "compliquer la situation".
L'annonce de S&P "correspond à une nouvelle vague d'hystérie antirusse", a réagi de son côté un vice-ministre des Affaires étrangères, Vassili Nebenzia cité par l'agence Ria-Novosti.
"Je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle a été prise non pas sur suggestion, mais sur ordre direct de Washington" dans le cadre de la "partie cachée de la guerre de sanctions", a ajouté le haut diplomate.
L'abaissement tombe en effet au moment où Washington et Bruxelles ont menacé Moscou de nouvelles sanctions économiques pour son soutien, y compris selon eux militaire, aux séparatistes prorusses de l'Est de l'Ukraine, où de sanglants combats ont eu lieu ce week-end.
Il a été annoncé de manière quasi simultanée à l'arrestation à New York d'un espion présumé russe, qui s'inscrit selon la diplomatie russe dans le cadre de la "campagne antirusse" des États-Unis.
- L'opposition veut manifester -
Au delà d'augmenter le coût de l'emprunt, l'annonce de S&P, qui a ramené le rouble à ses niveaux des journées noires de décembre, exclut de fait les obligations d'Etat russe, et par ricochet celles de ses grandes entreprises publiques, du portefeuille de certaines institutions financières.
Autrement dit, elle pourrait accélérer les fuites de capitaux de Russie, déjà à un niveau record l'an dernier, et donc aggraver la profonde récession prévue cette année.
"Est-ce que cela peut avoir des répercussions négatives? Il ne fait aucun doute que oui", tranche l'économiste Igor Nikolaïev, de l'institut FBK. "Mais changement de note ou pas, la tendance était négative et il ne s'agit là que d'une forme de constatation", poursuit l'expert.
Du point de vue symbolique, cet abaissement "ramène le pays en 2005", quand la Russie était justement sortie de cette catégorie, relevant la tête après la faillite de 1998, a dénoncé l'opposant Alexeï Navalny, appelant à une manifestation le 1er mars.
- Économies budgétaires -
Le ministre des Finances Anton Silouanov, après avoir critiqué dès lundi un "pessimisme excessif" de S&P, a de nouveau relativisé la situation.
"L'agence a pris sa décision sans avoir connaissance des mesures prises par le gouvernement contre la crise", qui prévoit des mesures d'économies budgétaires, a-t-il estimé.
La Bourse moscovite a plutôt bien encaissé la décision, l'indice RTS 0,29% vers 14H00 GMT. Plus affecté, le rouble ne rebondissait que timidement après avoir dévissé de plus de 6% lundi à l'annonce de S&P.
L'annonce de S&P "était attendue", a relativisé une responsable de la banque centrale, Ksénia Youdaïéva. "En ce qui concerne l'accès aux marchés pour les entreprises, cela ne va pas changer grand chose, car de nombreuses sociétés n'y avaient déjà pas accès", a-t-elle ajouté.
Pour plusieurs analystes, ce nouvel accès de faiblesse de la monnaie écarte l'hypothèse d'un abaissement rapide du taux directeur de la banque centrale. Ce dernier a été porté à 17% en décembre pour défendre le rouble, un niveau qui étrangle de nombreuses entreprises.
A plus long terme, la décision de Standard & Poors "va rendre la reprise économique post-crise plus difficile et plus coûteuse", relève l'économiste Chris Weafer, de la société de conseil Macro Advisory.
"Il est bien plus facile" de tomber en catégorie spéculative que d'en sortir, prévient-il.