par Daren Butler et Nevzat Devranoglu
ISTANBUL (Reuters) - La monnaie turque s'est enfoncée vendredi dans la crise, dévissant de nouveau, de 8%, à un creux historique, en réaction à une nouvelle baisse des taux d'intérêt de la banque centrale turque alors que le pays est confronté à une spirale inflationniste.
La livre turque est tombée dans la matinée à 17.0705 pour un dollar, ce qui a conduit la banque centrale à intervenir sur les marchés pour soutenir la devise nationale. C'est la cinquième fois depuis le début du mois qu'elle mène une telle action pour lutter contre ce qu'elle qualifie de "prix malsains" sur le marché des changes.
Les achats de dollars par la banque centrale turque ont permis à la livre de réduire ses pertes face au billet vert à 16.8300 vers 12h30 GMT. La monnaie turque accuse cependant encore, depuis le début de l'année, une baisse de près de 55% face au dollar, dont 37% au cours des 30 derniers jours.
La banque centrale de Turquie, sous la pression du président turc Tayyip Recep Erdogan, a abaissé jeudi son taux directeur de 100 points de base pour le ramener à 14%.
Depuis le mois de septembre, les taux d'intérêt ont été abaissés de 500 points de base, entraînant un effondrement de la livre turque et un taux d'inflation à plus de 21%.
Certains économistes s'attendent à ce que l'inflation grimpe à près de 30% en 2022, en raison de la flambée des prix des importations et d'une hausse du salaire minimum.
"Avec Erdogan qui semble s'enraciner dans sa position anti-taux d'intérêt, plus la crise monétaire dure, plus la Turquie pourrait être au-delà du point de non-retour", prévient Patrick Curran de Tellimer, un cabinet d'experts en investissement, qui juge la livre turque totalement déconnectée des fondamentaux.
"Tant qu'Erdogan est aux commandes, rien n'empêchera la livre de continuer à se déprécier", ajoute-t-il, excluant de nouveaux investissements dans des actifs turcs.
Avant d'évincer plusieurs membres de la banque centrale turque, Recep Tayyip Erdogan a critiqué à plusieurs reprises la politique de l'institut d'émission et appelé à une relance monétaire pour doper les exportations, le crédit et la croissance économique alors que se profile en 2023 une élection présidentielle.
Le président turc a par ailleurs annoncé une augmentation de 50% du salaire minimum, à 4.250 lires (243 euros) par mois pour l'an prochain, ce qui devrait contribuer à alimenter l'inflation de 3,5 à 10 points de pourcentage.
"Nous pensons que la combinaison actuelle de politiques est pour l'essentiel insoutenable", a déclaré Maxim Rybnikov, directeur des notes souveraines pour la région EMEA chez S&P Global Ratings.
(Avec la contribution de Karin Strohecker à Londres; version française Claude Chendjou, édité par Sophie Louet)