par Lisa Barrington et Osman Orsal
BEYROUTH/CILVEGOZU, Turquie (Reuters) - Les Etats-Unis et la Russie ont exprimé vendredi la volonté de prolonger le cessez-le-feu qu'ils parrainent en Syrie, bien que l'accord conclu entre les deux grandes puissances subisse des violations et qu'il n'ait pas permis pour l'instant d'acheminer l'aide humanitaire.
Cette seconde tentative de Moscou et Washington cette l'année de faire cesser les hostilités en Syrie a permis de réduire l'intensité des combats mais elle reste fragile.
Les rebelles sur le terrain l'ont acceptée avec réticence parce qu'ils ont le sentiment qu'elle est favorable au président syrien Bachar al Assad, mais ils disent n'avoir pas d'autre choix compte tenu des conditions humanitaires désastreuses pour les civils qui se trouvent dans les zones assiégées.
De son côté, le président syrien, qui n'a jamais été aussi bien placé sur le champ de bataille depuis le début de la guerre en 2011, n'est pas pressé de faire des compromis.
La Russie, grande alliée de Bachar al Assad et donc susceptible de le faire coopérer, a fait savoir qu'elle était prête à prolonger la trêve de 72 heures. Elle a appelé Washington à faire pression sur les rebelles "modérés" pour qu'ils la respectent. Les rebelles fondamentalistes, et notamment ceux de l'Etat islamique, ne sont pas concernés par cette trêve entrée en vigueur lundi soir.
Les Etats-Unis ont dit être d'accord sur l'importance d'une prolongation du cessez-le-feu mais ils ont aussi souligné qu'ils étaient inquiets de ne pas voir l'aide arriver.
Le principal point de discorde concerne l'acheminement de l'aide à Alep, divisée entre secteurs tenus par le gouvernement et secteurs tenus par les rebelles. Les forces syriennes ont encerclé la zone rebelle ce mois-ci, prenant au piège quelque 300.000 civils qui ne sont plus ravitaillés en nourriture.
"TRÈS FRUSTRANT"
Les Nations unies ont accusé le gouvernement syrien de retenir l'aide en refusant de distribuer les documents autorisant l'accès aux quartiers encerclés.
"Nous avons besoin des lettres de facilitation pour que les convois puissent partir. Elles ne sont pas arrivées", a déclaré Jens Laerke, porte-parole des Affaires humanitaires de l'Onu à Genève. "C'est très frustrant."
Après trois jours de diminution significative des violences, sans aucun décès signalé, plusieurs civils ont été tués jeudi, les premiers depuis le début de la trêve, a rapporté l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Vendredi, il y a eu trois morts, ainsi que 13 blessés, dans des bombardements aériens dans la province d'Idlib tenue par les insurgés, a ajouté l'OSDH. Un certain nombre d'obus ont été tirés par les insurgés sur deux villages chiites assiégés.
De violents combats ont par ailleurs éclaté vendredi dans les faubourgs est de Damas. Les habitants du centre de la capitale ont été réveillés par une forte explosion, a déclaré un témoin, tandis que des obus tombaient à proximité de la porte orientale de la vieille ville sous contrôle gouvernemental.
Selon l'OSDH, les combats ont éclaté entre l'armée syrienne et les rebelles dans le quartier de Djobar, dans la banlieue est de Damas. Le gouvernement et les rebelles se sont mutuellement accusés d'avoir commencé.
Les parties au conflit s'accusent aussi de ne pas avoir évacué la route Castello, principale voie d'accès au secteur d'Alep tenu par les rebelles et par laquelle l'aide doit être acheminée.
FORCES SPÉCIALES US
Vendredi après-midi, le ministère russe de la Défense a affirmé que l'armée syrienne avait quitté ses positions dans cette zone destinée à être démilitarisée, avant d'indiquer quelques minutes plus tard qu'elle y était revenue après avoir été "attaquée par les rebelles".
Les insurgés d'Alep ont dit qu'ils n'avaient pas constaté de retrait par le gouvernement syrien et qu'ils ne quitteraient pas leurs positions tant que le gouvernement ne l'aurait pas fait.
Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a insisté sur la nécessité de débloquer l'aide humanitaire lors d'un entretien téléphonique vendredi avec son homologue russe Sergueï Lavrov. Le chef de la diplomatie américaine a déclaré à son homologue russe que Washington ne commencerait pas le ciblage conjoint des islamistes prévu par l'accord tant que l'aide ne serait pas acheminée.
Sergueï Lavrov a réitéré pour sa part sa demande de voir Washington distinguer les rebelles "modérés" des groupes "terroristes" exclus de la trêve.
En dépit des difficultés, John Kerry et Sergueï Lavrov ont estimé que la trêve était globalement respectée et qu'il était nécessaire de la "consolider". Sergueï Lavrov s'est dit favorable à ce que le contenu de l'accord américano-russe soit rendu public, comme la France l'a demandé jeudi. [nL8N1BR2F0]
Les Etats-Unis et la Russie avaient prévu d'informer les membres du Conseil de sécurité de l'Onu du contenu de leur accord lors d'une séance à huis clos ce vendredi mais la réunion a été annulé à la dernière minute sans explication, ont dit des diplomates. Moscou prône l'adoption la semaine prochaine d'un projet de résolution endossant cet accord.
Si l'aide humanitaire finit par arriver, l'étape suivante du cessez-le-feu devrait théoriquement être une coordination des frappes aériennes russes et américaines contre les groupes djihadistes, dont l'Etat islamique.
C'est à cette fin qu'une demi-douzaine de membres des forces spéciales américaines ont été envoyés vendredi à Al Raï, une ville syrienne proche de la frontière turque, au nord d'Alep, mais ils en ont été chassés par des rebelles hostiles à leur présence, a-t-on déclaré de source proche de l'opposition syrienne. [nL8N1BS3BJ]
(Avec Ellen Francis et John Davison à Beyrouth, Tom Miles à Geneva, Dmitri Soloviov à Moscou, Idrees Ali, Phil Stewart et Yeganeh Torbati à Washington, Michelle Nicols aux Nations unies et Anthony Deutsch à La Haye; Henri-Pierre André, Tangi Salaün, Jean-Philippe Lefief et et Danielle Rouquié pour le service français)