par Caroline Pailliez
QUIBERON, Morbihan (Reuters) - Verres de bière et téléphones en main, des dizaines de jeunes se déhanchaient samedi 18 juillet au son d'une musique pop électro, sous les faisceaux lumineux verts et rouges de l'Hacienda Café, un bar club de Quiberon, dans le Morbihan, selon une vidéo visionnée par Reuters.
L'établissement affichait presque complet en ce soir d'été, rendant difficile le respect des mesures de distanciation physique entre groupes d'amis, selon plusieurs jeunes, présents sur place, rencontrés par Reuters.
L'un d'entre eux, un étudiant en économie qui travaillait pour l'été à la boulangerie d'un supermarché, ne s'est pas attardé, accablé par un mal de tête. Trois jours plus tard, le jeune homme, âgé de 19 ans, était diagnostiqué positif au coronavirus.
Il s'agit du premier cas détecté sur la presque-île de Quiberon. Dans les jours qui ont suivi, des dizaines d'autres jeunes, qui avaient notamment fréquenté l'établissement ont été testés positifs.
L'Autorité régionale de santé (ARS) a annoncé mercredi que 72 cas pouvaient être liés de près ou de loin au groupe d'amis. Une quarantaine de personnes ont été diagnostiquées à Quiberon et 37 autres chez elles.
La préfecture du Morbihan a fait fermer l'établissement pour deux mois. La mairie a dans un premier temps interdit l'accès aux plages à partir de 21h00 pour éviter les attroupements nocturnes. L'ARS a mis en place un centre mobile de dépistage.
"Après une année scolaire, après l’université, ils veulent faire la fête. On les comprend. Pour autant, la saison estivale 2020 ne sera pas la même que 2019, il ne le faut pas", a prévenu le préfet du Morbihan, Patrice Faure.
Jeudi, la mairie a fait savoir que le "cluster" de Quiberon était maîtrisé. Le taux de contamination était inférieur à 2% dans les deux derniers jours, soit moindre que dans d'autres stations balnéaires, selon le premier adjoint au maire, Gildas Quendo, qui a repoussé l'horaire de fermeture des plages à 23h00.
FOYERS EN EUROPE
Comme à Quiberon, de nombreux foyers de contaminations commencent à réapparaître en Europe, alors que les mesures de confinement avaient permis de diminuer fortement le nombre d'infections au coronavirus.
Certains de ces foyers - de Barcelone au nord de la France ou encore en Allemagne - sont des lieux de vacances privilégiés par les jeunes.
En Espagne, la situation a amené les autorités à prendre un ensemble de mesures visant à limiter la vie nocturne, comme des couvre-feux, des limites sur les capacités d'accueil ou des mesures de distanciation sur les pistes de danse.
La Catalogne, fortement touchée, a fait fermer ses boîtes de nuit la semaine dernière et a imposé la fermeture des bars à minuit. Les autorités ont également promis des amendes pouvant aller jusqu'à 15.000 euros pour les jeunes qui s'adonnaient aux "botellon" - apéritifs improvisés dans les rues.
En Allemagne, où les discothèques et les grands rassemblements sont encore interdits dans la plupart des villes, les autorités tentent de limiter les soirées en plein-air dans les parcs et les squares.
La ville de Hambourg a interdit la vente d'alcool dans les magasins après 20h00. A Francfort, capitale financière du pays, 39 personnes ont été arrêtées au début du mois après des altercations avec la police tard dans la nuit. A Berlin, les forces de l'ordre ont mis fin à une "rave party" illégale impliquant 3.000 personnes.
Les clusters - il y en a en France 151 en cours d'investigation, selon l'agence Santé publique France - font resurgir la crainte d'un rebond de l'épidémie, avec ses conséquences sanitaires et économiques.
QUARANTAINE
Toute la semaine précédant les premiers symptômes, le jeune étudiant en économie de 19 ans, qui préfère garder l'anonymat pour éviter d'être stigmatisé, se rendait avec ses amis à l'Hacienda Café avant de poursuivre la soirée sur la plage.
"On avait le droit de le faire. La plage était ouverte. On n'était pas dans l'illégalité", dit-il.
Le samedi matin, il a commencé à avoir une migraine et a pris du paracétamol pour se rendre à la soirée, pensant qu'il s'agissait d'une accumulation de fatigue. Il dit n'être resté qu'une heure environ dans l'établissement.
Lundi, toujours malade et incapable d'aller travailler, il est allé voir un médecin pour obtenir un arrêt de travail, lequel lui a dit d'aller passer le test dans un hôpital.
Le lendemain matin, les résultats ont montré qu'il était positif. Il a été placé en quarantaine dans un appartement à Lorient pendant une semaine, le temps de s'assurer qu'il n'était plus contagieux.
Conscient depuis le début de la saison estivale des risques liés à l'épidémie, l'étudiant assure qu'il essayait de limiter les rapports avec les personnes qu'il ne connaissait pas, côtoyant toujours le même cercle d'amis.
Le préfet du Morbihan, Patrice Faure, a précisé que le club, qui était enregistré comme discothèque, n'avait pas le droit d'ouvrir - les boîtes de nuit n'ont pas été "déconfinées" en France -, même s'il respectait des horaires de bars, c'est-à-dire qu'il fermait vers 01h00 du matin.
Le manager, Eric Adami, assure qu'il n'était pas au courant de cette réglementation. Il regrette la situation, surtout que d'autres bars, selon lui, ont organisé des soirées dansantes mais n'ont pas été pris sur le fait. "On s'est fait choper, dit-il à Reuters, c'est très difficile à vivre. J’ai le moral à zéro."
PROGRESSION CHEZ LES JEUNES
En France, le nombre de nouveaux cas de contaminations hebdomadaires au coronavirus est au plus haut depuis la mi-mai, même s'il est encore très loin des pics de mars et avril.
Cette progression de la transmission du virus touche particulièrement les 15-44 ans. Il y a six semaines, quatre personnes sur 100.000 dans cette catégorie était contaminées. C'est aujourd'hui le double.
Le nombre de patients hospitalisés pour une infection Covid-19 continue en revanche de baisser, les jeunes étant moins susceptibles de développer des symptômes. Le risque, cependant, est qu'ils transmettent le virus à leurs proches.
"Un des grands défis que nous rencontrons en ce moment est de convaincre les jeunes des risques liés à l'épidémie", a souligné cette semaine le directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus.
"Nous l'avons dit auparavant et nous continuons de le dire: les jeunes ne sont pas invincibles. Les jeunes peuvent être infectés, ils peuvent mourir, et ils peuvent transmettre le virus à d'autres personnes."
Mardi après-midi, le jeune étudiant de 19 ans qui venait de terminer sa semaine de quarantaine, a récupéré ses affaires dans le camping où il résidait pour l'été, pour aller passer une semaine de repos chez ses parents à Rennes. Besoin de s'éloigner quelques temps de l'agitation causée par l'émergence du cluster. Sentiment d'être injustement pointé du doigt par les autorités. "Ce n'était pas une volonté de nuire, dit-il, c’était une volonté de vivre."
(Reportage additionnel de Nathan Allen à Madrid, John Irish à Paris, Maria Sheahan à Berlin et Stephanie Ulmer-Nebehay à Genève; édité par Henri-Pierre André)