PARIS (Reuters) - Le chef d'état-major des armées a remis mercredi sa démission à Emmanuel Macron sur fond de désaccord avec l'exécutif concernant le budget du ministère de la Défense, déclenchant une crise inédite entre le pouvoir politique et la hiérarchie militaire.
"Je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays", écrit Pierre de Villiers dans un communiqué transmis à Reuters.
Selon une source militaire, Pierre de Villiers, nommé à la tête des armées en 2014 et reconduit il y a moins d'un mois, a été reçu par Emmanuel Macron avant le conseil de défense qui a eu lieu ce mercredi matin à l'Elysée et ce militaire d'élite lui a annoncé sa démission.
François Lecointre, chef du cabinet militaire du Premier ministre Edouard Philippe, a été choisi pour lui succéder et sera chargé de mettre en oeuvre la prochaine loi de programmation militaire (LPM) dans un contexte budgétaire serré.
A 55 ans, cet ancien élève de Saint-Cyr et militaire de terrain, est un "héros" de la guerre de Bosnie au cours de laquelle il a libéré des soldats français détenus par des Serbes en 1995, a rappelé mercredi Emmanuel Macron sur France 2.
"Il aura non pas un budget à défendre, parce que ce n'est pas le rôle du chef d'état-major, c'est le rôle de la ministre des Armées", a dit le président français à Serre-Chevalier (Hautes-Alpes), à l'arrivée de l'étape du Tour de France.
"Il aura des troupes à conduire, des opérations à mener, une stratégie, des capacités à défendre et à proposer au chef des armées qui est le président de la République. C'est comme ça que la République fonctionne bien", a-t-il ajouté en rappelant la répartition des rôles que Pierre de Villiers aurait oubliée.
UN GÉNÉRAL "ASSEZ POLITIQUE"
Pierre de Villiers avait exprimé la semaine dernière de fortes réserves, en termes crus mais dans le huis clos d'une audition à l'Assemblée nationale, à propos des économies imposées par le gouvernement pour 2017.
La coupe budgétaire pour les armées s'élève à 850 millions d'euros pour 2017, alors même que Pierre de Villiers plaide de longue date pour une hausse de son budget afin d'atteindre un objectif de 2% du PIB.
"J’ai toujours veillé, depuis ma nomination, à maintenir un modèle d’armée qui garantisse la cohérence entre les menaces qui pèsent sur la France et sur l’Europe, les missions de nos armées qui ne cessent d’augmenter et les moyens capacitaires et budgétaires nécessaires pour les remplir", se justifie le chef d'état-major sortant dans son communiqué.
Le débat a viré à la passe d'armes le 12 juillet lorsque Pierre de Villiers a déclaré devant les députés, réuni en commission de la défense, qu'il ne se laisserait pas "baiser comme ça".
Emmanuel Macron avait balayé les critiques dès le lendemain, dans un discours prononcé devant toute la hiérarchie militaire, en jugeant dans une allusion transparente qu'il n'était "digne d'étaler des débats sur la place publique".
"J'ai pris des engagements, je suis votre chef. Les engagements que je prends devant les concitoyens, devant les armées, je sais les tenir et je n'ai à cet égard besoin de nulle pression, de nul commentaire", avait poursuivi le chef de l'Etat en haussant délibérément le ton.
Le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a estimé que la démission de Pierre de Villiers était inéluctable en raison de ce désaccord connu - une fois que les propos tenus dans le huis clos de la commission de la défense ont été rendus publics - exprimé par un général "assez politique" -- Philippe de Villiers, nommé par François Hollande, est marqué à droite.
2% DU PIB EN 2025
Emmanuel Macron a rappelé que la baisse du budget pour 2017 était rendue nécessaire par le déficit plus important que prévu mais que l'armée bénéficierait dès 2018 d'une enveloppe augmentée d'1,5 milliard d'euros.
"J'ai pris des décisions sur le plan budgétaire qui font qu'en 2018 il y aura l'augmentation budgétaire la plus importante sur les quinze dernières années", a-t-il souligné sur France 2. "Donc je suis derrière nos soldats (...), derrière les troupes, derrière leurs familles et l'Etat est pleinement engagé en cohérence avec la stratégie que j'ai annoncée, la volonté d'atteindre 2% du Produit intérieur brut en 2025 dans l'armée."
Le chef de l'Etat a annoncé la semaine dernière que le budget de la défense s'élèverait à 34,2 milliards d'euros en 2018, contre 32,7 milliards cette année. A 2% du PIB, il atteindrait quelque 50 milliards d'euros en 2025.
Malgré ces engagements, les militaires à la retraite - les seuls à pouvoir s'exprimer - estiment que la crise est grave.
"C'est une crise majeure, qui va avoir des conséquences terribles", juge Vincent Desportes, ancien directeur de l'Ecole de guerre, d'où sortent les plus hauts gradés de l'armée française, et désormais professeur associé à Sciences Po Paris.
Selon lui, il faut remonter au putsch des généraux favorables à l'Algérie française et opposés au général de Gaulle, en 1961, pour retrouver une crise de cette ampleur entre le pouvoir politique et la hiérarchie militaire.
L'opposition, elle, tire à boulets rouges sur le président de la République, trouvant dans cette crise un des premiers angles d'attaque forts contre Emmanuel Macron.
(Simon Carraud, édité par Yves Clarisse)