par Claude Canellas
LACANAU, Gironde (Reuters) - Trois hivers successifs plus cléments ne font pas le printemps sur la côte aquitaine, ou l'océan Atlantique devrait avancer de 50 mètres sur la côte sableuse et de 27 mètres sur la côte rocheuse d’ici 2050, menaçant des milliers d'habitations que les autorités tentent de protéger par de coûteux investissements.
"Les trois derniers hivers ont été plutôt cléments mais chaque fois qu’on traite un risque, le retour au calme n’est qu’un épisode précédant un nouvel événement exceptionnel car l’érosion est inexorable", déclare à Reuters Nicolas Castay, directeur du GIP Littoral aquitain, le groupement d’intérêt public chargé de définir la stratégie régionale en la matière.
A Soulac-sur-mer, près de l’embouchure de la Gironde, l’immeuble Le Signal est devenu le symbole de cette érosion qui s’est accélérée, selon les dernières données.
Construit sur la dune de sable en 1967 à 200 mètres du rivage, cet immeuble de 78 logements sur quatre étages n’est plus qu’à une dizaine de mètres de l’océan.
Après l’hiver 2013-2014, les 75 copropriétaires ont été évacués sur arrêté préfectoral. Ils ont été depuis déboutés par la justice de leurs demandes d’indemnisation par le fonds pour risques majeurs naturels, qui ne comprend pas l’érosion.
"Les copropriétaires ne sont pas des gens fortunés. Bien souvent, ils ont placé là leurs économies et, plus dramatique encore, certains continuent de rembourser leur crédit", dit Jean-José Guichet, président des copropriétaires de l’immeuble. "On a l’impression d’être traités comme des moins que rien."
49,4 MILLIONS D'EUROS POUR PROTÉGER
Sur cette bande côtière où vivent plus de 450.000 personnes, l’Observatoire de la côte aquitaine (OCA) a observé un taux moyen annuel de recul du littoral de 1,70 mètre dans le département des Landes et de 2,50 mètres en Gironde.
Les tempêtes dévastatrices de l’hiver 2013-2014 avaient même fait reculer d'un coup la côte sableuse jusqu’à 25 mètres.
Le budget prévisionnel des investissements pour effectuer les travaux de protection les plus urgents a été fixé lundi dernier à 49,4 millions d’euros d’ici 2022 par le GIP.
Ils serviront à la construction d’épis, d’enrochements et au rechargement de sable pour la protection de 5.800 logements menacés par l’érosion côtière d’ici 2050 si rien n’est engagé.
Environ 3.000 d’entre eux se trouvent en bordure de la côte sableuse qui s’étend sur 230 kilomètres entre l’embouchure de la Gironde au nord et le sud des Landes.
Le reste de ces logements est situé sur les 30 kilomètres de la côte rocheuse du Pays basque au sud jusqu’à la frontière avec l’Espagne. Le taux moyen annuel de recul y est moins élevé, de l’ordre de 25 centimètres.
La grande majorité des logements se trouve derrière des protections mais le GIP souligne que leur pérennité et leur robustesse n’est pas assurée après 2050, d'autant plus que 10% d’entre eux en sont totalement dépourvus.
Depuis le lancement en 2012 d’une stratégie de gestion du trait de côte par le GIP Littoral Aquitain, des plans locaux ont été lancés dans une dizaine de communes.
PENSER LA VILLE AUTREMENT
Le plus avancé est celui de Lacanau, station balnéaire célèbre notamment pour les sports de glisse. La stratégie locale a commencé par la reconstruction dans l’urgence de la protection par des blocs de pierre après l'hiver 2013-2014.
Le coût a été de 3,4 millions d’euros essentiellement financés par la commune et une deuxième vague de travaux à partir de 2019 est prévue à hauteur de 23 millions d’euros pour protéger jusqu’en 2050 le front de mer urbain d’environ un km, où des bâtiments et des parkings ont été construits sur la dune.
"On aura ainsi un peu de recul pour prendre la décision. Est-ce qu’on relocalisera, est-ce qu’on protègera, est-ce qu’on délocalisera certains sites qui sont sans enjeux forts ? On n’a pas encore la réponse mais on est en train de penser la ville autrement", déclare le maire Laurent Peyrondet.
"Les gens qui sont venus s’installer sur le front de mer en raison de l’attractivité de l’océan ne pourront pas être relocalisés dans la nature", ajoute-t-il.
Pour Nicolas Castay, il faut une stratégie nationale et des textes de loi permettant d’intervenir sur le domaine privé.
"Le but est de créer les outils juridiques pour, d’une certaine manière, gérer des zones d’une durée de vie limitée en raison d’une érosion inéluctable, contrairement à la submersion où on peut réparer les dégâts une fois l’eau retirée", dit-il.
(Édité par Yves Clarisse)