par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - La troisième conférence sociale du quinquennat de François Hollande a repris mardi sans la CGT, Force ouvrière et la FSU, dont l'absence fait diversion en détournant l'attention du fond, au grand dam des "réformistes".
Si le chef de l'Etat a réaffirmé lundi soir sa foi dans l'utilité du dialogue social pour réformer la France, le boycott des tables rondes de mardi par ces trois syndicats posent la question de l'avenir de ce type de "grand messe".
Les dirigeants de la CGT et de FO, Thierry Lepaon et Jean-Claude Mailly, n'ont pas attendu lundi le discours présidentiel pour confirmer leur décision de mettre à exécution leur menace de boycotter cette deuxième journée.
Le premier a accusé le gouvernement de céder au patronat et le second a dénoncé un "bug dans le dialogue social" - allusion, notamment, aux gestes d'apaisement annoncés la semaine dernière par le Premier ministre, Manuel Valls, à l'adresse du Medef et de la CGPME, qui menaçaient alors de bouder la conférence.
CGT et FO ont été suivies en début de matinée mardi par la FSU, première fédération de l'Education nationale, dont la secrétaire générale, Bernadette Groison, a déploré que la fonction publique soit négligée par le gouvernement.
"Le président de la République n'a pas eu un mot hier, en dehors de l'Education nationale, sur le rôle que doivent jouer dans notre pays la fonction publique et les services publics", a-t-elle notamment déclaré à la presse.
Elle a aussi fait état de désaccords sur les contraintes budgétaires du pacte de responsabilité, qui prévoit 40 milliards d'euros de baisses de charges et d'impôts pour les entreprises, financées par une réduction des dépenses publiques.
"DANS LE CONCRET"
"Ces contraintes budgétaires sont énormes, particulièrement pour la fonction publique et les services publics", a déclaré la dirigeante de la FSU, qui a annoncé son intention d'écrire au chef de l'Etat pour lui demander des clarifications.
Les tables rondes portaient sur l'emploi, l'insertion professionnelle des jeunes, l'agenda économique et social européen, l'investissement, la politique de santé, le pouvoir d'achat et la réforme de l'action publique.
Manuel Valls souhaite aussi que les partenaires sociaux se saisissent de sujets sensibles comme les obligations sociales liées à la taille des entreprises (les "seuils sociaux) ou les simplifications "possibles" du code du travail.
La secrétaire générale de la CFE-CGC, syndicat de l'encadrement, a vu dans l'absence de la CGT, de FO et de la FSU une chance de poursuivre le dialogue de façon apaisée.
"La conférence continue et nous allons pouvoir, du coup, parler de tous les sujets, alors qu'il y aurait peut-être eu des points de blocage", a dit à Reuters Carole Couvert.
"On peut avancer. On perd peut-être moins de temps sur des problèmes idéologiques, on est dans le concret", a renchéri son homologue de la CFTC, Philippe Louis, qui a cependant rappelé que les tables rondes de mardi n'étaient que l'aboutissement de rencontres préparatoires auxquelles ont participé la CGT et FO.
Il a néanmoins reconnu que leur absence "plombait un peu l'ambiance" et constituait un revers pour le chef de l'Etat.
Le secrétaire général de l'Unsa, syndicat très implanté dans la fonction publique, a pour sa part estimé que la stratégie de la CGT et de FO fragilisait le dialogue social, déjà entravé par un manque de culture du compromis spécifique à la France.
"Il y a un risque politique à quitter cette voie du dialogue, en particulier dans un contexte de montée du populisme et de poussée des corporatismes", a dit à Reuters Luc Bérille, selon qui cela alimente par ailleurs une image négative du syndicalisme dans l'opinion publique.
"ÉCUME" ET "POSTURES"
Le secrétaire général de la CFDT a déploré de son côté que le geste d'humeur de la CGT, de FO et de la FSU détourne l'attention de la raison d'être de la conférence - la recherche de solutions aux problèmes économiques et sociaux du pays.
"Ce qui est important c'est d'essayer de trouver des solutions", a dit Laurent Berger à des journalistes. "Alors arrêtons d'essayer de commenter simplement l'écume des choses, les comportements et les postures des uns et des autres."
Il a néanmoins estimé, comme d'autres dirigeants syndicaux et patronaux, que l'exercice de la "grande conférence sociale", jugé "usé" par Jean-Claude Mailly, devrait évoluer.
"Il faudra sans doute préciser le rôle de chacun", a-t-il dit. "Cette conférence sociale a trop souvent souffert d'une espèce de posture de retrait, chacun disant 'on attend du gouvernement qu'il dise ce qu'il va faire'."
"Il y a forcément un peu d'usure. On ne peut pas lancer en permanence de grands chantiers", a reconnu Luc Bérille, pour qui la conférence sociale devrait également s'attacher au suivi des réformes engagées.
Du côté patronal, le Medef veut y introduire une dimension économique pour que ce ne soit pas un dialogue "hors sol".
Manuel Valls devait conclure en fin d'après-midi les débats.
"Ça nous permettra de savoir si cette conférence est celle du grand bluff ou s'il y a une vraie volonté du gouvernement d'aller sur un dialogue social constructif, pas uniquement pour le patronat mais pour l'ensemble des catégories, y compris les classes moyennes", a déclaré Carole Couvert.
(édité par Gérard Bon)