par Julie Carriat
PARIS (Reuters) - La pression monte contre le projet de loi asile et immigration du gouvernement, confronté jeudi à des attaques nourries émanant aussi bien du monde associatif, de l'opposition que des syndicats, sur fond de "consultation" à Matignon.
Avant même la présentation du projet de loi, attendue en février en conseil des ministres, les condamnations se multiplient sur une circulaire introduisant des contrôles dans les centres d'hébergement, jusqu'au sein de la majorité.
"Notre pays est en train de perdre son âme sur la politique des migrants", a estimé jeudi Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, sur Europe 1. "Cette volonté de trier entre ceux qui seraient bons migrants et mauvais migrants est inacceptable pour la CFDT."
Son homologue de la CGT, Philippe Martinez, a regretté quant à lui sur Radio Classique que "la France, terre des droits de l'homme, montre du doigt les réfugiés et les migrants".
L'hebdomadaire L'Obs, dont la une figure jeudi le visage d'Emmanuel Macron encadré de fils barbelés dans des couleurs rouge blanc et noir rappelant celles de l'Empire allemand, multiplie les avertissements de personnalités.
L'écrivain et prix Nobel de littérature J.M.G Le Clézio y dénonce notamment un "déni d'humanité insupportable". "Comment peut-on faire le tri?", demande-t-il.
Sur le front politique, la gauche est unanime pour condamner la répression à l'oeuvre selon elle sous le ministère de Gérard Collomb tandis que Les Républicains dénoncent pour leur part le "laxisme" du projet de loi.
HAMON DÉNONCE UNE IMPOSTURE
"La première fake news, c'est-à-dire l'imposture que dénonce Emmanuel Macron à longueur de journée, c'est la politique du gouvernement, le choix qui consiste à dire 'je suis humain' quand en réalité on est en train de faire le tri des migrants", a déclaré l'ancien candidat à la présidentielle Benoît Hamon sur RTL, dénonçant une "criminalisation de la pauvreté".
"Les associations d'accueil ne quittaient pas les réunions" sous la présidence de Nicolas Sarkozy, quand Claude Guéant était à l'Intérieur, a ironisé le fondateur du mouvement Génération.s.
La députée France insoumise Clémentine Autain a dénoncé pour sa part un gouvernement "autoritaire": "Beaucoup ont pensé qu'(Emmanuel Macron) serait sociétal, libéral, qu'il prônerait les libertés, on le constate sur la question des réfugiés (...) que son libéralisme économique débridé est associé à une mise en cause des droits humains", a-t-elle dit sur BFMTV.
Le porte-parole des Républicains Gilles Platret s'est inquiété au contraire du "laxisme du gouvernement", notamment face au retrait de la notion de "pays tiers sûr", qui aurait permis de renvoyer des demandeurs d'asile vers un pays tiers par lequel ils auraient transité, par exemple la Turquie.
Le projet de loi "ne trompe pas les Républicains qui voient, dans la loi en préparation, au mieux un coup d'épée dans l’eau, au pire un écran de fumée peut-être destiné à donner le change, mais bien incapable en l'état de faire face à la nouvelle donne internationale ni de protéger les Français contre une immigration clandestine massive", écrit-il.
LE CONSEIL D'ÉTAT SAISI
Les tentatives d'apaisement du gouvernement sur le projet de loi se sont heurtées en outre à la colère des associations avant même leur participation à une "consultation" à Matignon.
Vingt-six d'entre elles ont annoncé dès mercredi qu'elles allaient saisir jeudi le juge des référés du Conseil d'Etat pour réclamer la suspension de la circulaire instaurant des contrôles de migrants au sein de l'hébergement d'urgence.
Conviées à une réunion avec le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur, elles ont annoncé qu'elles boycotteraient un comité de suivi sur la mise en oeuvre du texte. "Nous ne souhaitons pas participer à un comité de suivi sur une circulaire que nous avons réfutée", a expliqué Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade.
Les services du Premier ministre ont confirmé la tenue d'une réunion destinée à présenter les grandes lignes du projet de loi. Le sujet de la circulaire est susceptible d'être abordé " si (les associations) ont envie d'en parler", a-t-on précisé.
Si la circulaire concentre les crispations jusqu'au sein de la majorité où elle en a "froissé" certains, dont la présidente de la Commission des Affaires sociales de l'Assemblée, Brigitte Bourguignon, le projet de loi est aussi critiqué.
"On demandera de surseoir à la mise en place de ce projet de loi", a annoncé le secrétaire général de la Cimade, le jugeant "inacceptable" après avoir reçu mercredi du gouvernement un document qui en résume les principaux dispositifs.
L'allongement de la durée maximale de rétention, de 45 à 90 jours (et jusqu'à 105 jours dans certains cas) est notamment dénoncé par les associations.
"C'est inutile parce que 90% de personnes en rétention sont éloignées au bout de 12 jours. Elle apparaît comme punitive et extrêmement onéreuse", a estimé le directeur général de France-Terre d'asile, Pierre Henry, sur Europe 1.
(Edité par Yves Clarisse)