par Branko Filipovic
SID, Serbie (Reuters) - Les migrants et réfugiés qui cherchent à gagner les pays d'Europe de l'Ouest et du Nord ont commencé à passer par la Croatie mercredi après le bouclage de la frontière hongroise, alors que l'Europe cherche toujours une réponse à cette crise, sans précédent depuis la guerre en ex-Yougoslavie il y a 20 ans.
La décision de la Serbie de réorienter des centaines de migrants vers la frontière croate, quelques heures après la fermeture de la route vers la Hongrie, jusqu'alors porte d'entrée dans l'espace Schengen, montre la difficulté d'arrêter un phénomène qui divise toujours les dirigeants européens.
La Croatie a annoncé qu'elle laisserait les migrants transiter par son territoire pour se rendre dans la zone de libre circulation de l'Union européenne, ainsi que l'envoi en urgence d'experts en explosifs dans la région qu'ils traversent à pied pour franchir la frontière, parsemée de champs de mines antipersonnel depuis la guerre des années 1990.
La Slovénie, qui fait également partie de l'espace Schengen, a annoncé qu'elle allait établir des contrôles temporaires à sa frontière avec la Hongrie sans préciser ce qu'elle entendait faire quant à sa frontière avec la Croatie.
Un millier de personnes, qui ont passé la nuit devant la gare de Salzbourg, ont entrepris de rejoindre l'Allemagne à pied après avoir attendu en vain de monter dans un train, les liaisons ferroviaires ayant été suspendues dans les deux sens à la demande de Berlin.
La police allemande a annoncé que 700 migrants étaient entrés dans le pays en provenance de l'Autriche et 700 autres étaient attendus prochainement.
Alors que le rétablissement des contrôles entre l'Allemagne et l'Autriche continue de perturber le trafic ferroviaire entre les deux pays, Angela Merkel a réitéré mercredi la demande qu'elle avait formulé la veille avec son homologue autrichien Werner Faymann en vue de la tenue d'un sommet extraordinaire européen dès la semaine prochaine.
Le Premier ministre Manuel Valls a fustigé les pays de l'UE qui refusaient de "jouer le jeu" dans cette crise migratoire. "Ces pays oublient aussi leur propre Histoire et ces hommes et ces femmes que nous avons accueillis en France quand eux-mêmes fuyaient la dictature et la persécution communistes. (...) La solidarité ce n'est pas à la carte", a dit le chef du gouvernement.
PREMIÈRE CONDAMNATION EN HONGRIE
La France s'est également dite favorable à l'organisation d'un Conseil européen sur la question des réfugiés mais elle souhaite que les ministres de l'Intérieur des Vingt-Huit, qui se réuniront à nouveau mardi prochain, s'entendent au préalable "sur un certain nombre de points", a déclaré mercredi Stéphane Le Foll, le porte-parole du gouvernement.
Paris et Berlin veulent notamment la mise en place d'un mécanisme contraignant pour répartir 120.000 demandeurs d'asile supplémentaires dans les pays de l'Union européenne (UE), et non que celle-ci se fasse sur une base volontaire.
Cette initiative se heurte toujours au refus des pays d'Europe de l'Est, dont la Hongrie, qui au lendemain de la fermeture de sa frontière, a franchi une nouvelle étape pour dissuader les migrants d'emprunter son territoire en commençant à juger ceux qu'elle avait arrêtés mardi.
Un tribunal a ainsi condamné mercredi à un an d'expulsion du territoire hongrois un Irakien qui avait franchi illégalement la clôture érigée le long de la frontière serbe.
Les autorités hongroises ont par ailleurs appelé la Serbie à intervenir contre des "groupes de migrants agressifs", bloqués en territoire serbe, qui s'en prennent "de manière persistente" aux policiers hongrois à l'aide de pierres ou de morceaux de béton.
Budapest a informé Belgrade que le poste-frontière de Röszke-Horgos resterait fermé pendant 30 jours après des échauffourées entre migrants et forces de sécurité hongroises, qui ont fait 20 blessés chez les policiers magyars.
Si ces initiatives très critiquées au sein même de l'UE vont sans doute réduire drastiquement le flux vers la Hongrie, elles ne font que déplacer le problème, comme en témoigne le déroutage dès mardi soir d'une dizaine de cars transportant des migrants vers la frontière croate.
Dès mercredi matin, des centaines de personnes ont commencé à partir vers la Croatie à pied, à travers les champs de maïs, a constaté un journaliste de Reuters dans la petite ville serbe de Sid, située à cinq kilomètres de la frontière.
"UN SIGNAL ENVOYÉ AU MONDE"
La Croatie, qui est membre de l'UE mais ne fait pas partie de l'espace Schengen, a indiqué qu'elle les transporterait vers des centres d'accueil près de la capitale, Zagreb, avant de les laisser poursuivre leur route vers la Slovénie voisine, d'où ils peuvent ensuite se rendre en Italie ou en Autriche.
"La Croatie est totalement prête à recevoir ou à rediriger ces gens vers l'endroit où ils veulent aller, de toute évidence l'Allemagne et les pays nordiques", a déclaré le Premier ministre, Zoran Milanovic, en proposant de rencontrer le chancelier autrichien Werner Faymann jeudi pour discuter de la situation.
Dans un premier temps, le tarissement de la filière hongroise devrait apporter un répit bienvenu à l'Autriche, qui peine à gérer la congestion provoquée par le rétablissement des contrôles décidé par l'Allemagne, dimanche, et par sa propre police depuis mardi soir.
Alors que les centres d'accueil sont saturés par l'afflux de 15.000 migrants dans la seule journée de lundi, la société de chemins de fer autrichienne ÖBB a annoncé mercredi matin la suspension du trafic ferroviaire entre Salzbourg et l'Allemagne, dans les deux sens, à la demande des autorités allemandes.
"Ces contrôles aux frontières doivent constituer un signal important au monde", a déclaré la ministre autrichienne de l'Intérieur, Johanna Mikl-Leitner.
Le message semble en tout cas être arrivé jusqu'à la frontière entre la Grèce et la Turquie, point de départ de nombre de réfugiés, où des centaines de personnes, en majorité des Syriens, ont passé la nuit dehors après s'être vu interdire l'entrée sur le territoire grec.
Après une nuit passée dans le froid, certaines familles ont rebroussé chemin vers Istanbul, mais beaucoup d'autres migrants sont restés sur place, prévenant qu'ils chercheraient coûte que coûte à se rendre en Grèce.
(Avec les bureaux de Zagreb, Budapest et Vienne, Jean-Baptiste Vey à Paris et Humeyra Pamuk en Turquie; édité par Tangi Salaün)