PARIS (Reuters) - Les juges, greffiers et avocats opposés à la réforme de la Justice placent leur espoir d'être entendus entre les mains des parlementaires, après la présentation vendredi du projet de loi au conseil des ministres qu'ils dénoncent.
Ces professionnels dénoncent la dégradation de l'accès à la justice et de la qualité des décisions qu'entraînera selon eux la réforme.
Leurs principaux syndicats ont déploré jeudi "la recherche de la rentabilité au détriment du sens même de la justice" et une volonté de "gérer la pénurie de moyens".
Parmi les principaux points de crispation : la fusion des tribunaux d'instance (TI) et de grande instance (TGI) et la suppression de la fonction de juge d'instance, le développement des procédures évitant le passage en audience devant un juge et les décisions collégiales en "sous-traitant" des pans entiers de contentieux à des "opérateurs privés".
Parce qu'elles s'accompagnent d'une volonté de réduire la place des magistrats, la numérisation et la simplification auront des effets toxiques, disent les opposants.
"J'entends évidemment ces critiques", a déclaré la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, à des journalistes après le conseil des ministres.
Elle a assuré que lorsque l'explication de cette réforme complexe est faite, "les propos sont beaucoup moins virulents et beaucoup plus apaisés", une affirmation balayée par les opposants.
BUDGET EN HAUSSE
La ministre a également mis avant les nouveaux moyens promis à la Justice, dont le budget passera de 7 milliards d'euros en 2018 à 8,3 milliards en 2022.
"Ce sont des magistrats supplémentaires, des personnels supplémentaires dans les prisons, un développement des outils informatiques réclamé à cor et à cri dans les juridictions", a-t-elle ajouté. "Donc je crois que nous avons vraiment les moyens de développer une réforme de la Justice très ambitieuse."
Le gouvernement prévoit notamment 6.500 créations nettes d'emplois en cinq ans, la construction de 7.000 places de prison d'ici 2022 et la construction de 20 centres éducatifs fermés.
Le texte présenté vendredi veut simplifier et accélérer les procédures pénales et civiles à grands coups de dématérialisation, d'assouplissement d'un certain nombre de contraintes et de réorganisation des juridictions.
Il prévoit d'expérimenter une juridiction intermédiaire entre les tribunaux correctionnels et les cours d'assises, les tribunaux criminels départementaux où les crimes passibles de peines maximales de 15 et 20 ans seront jugés par des magistrats professionnels.
Il réorganise les sanctions, en supprimant par exemple les peines d'un jour à un mois de prison ou en développant les peines alternatives, comme la détention à domicile sous surveillance électronique.
La densité carcérale moyenne s'élevait à 118,3% au 1er avril et la population en détention à 70.367, dont 49 515 condamnés.
Après des observations du Conseil d'Etat, la création annoncée d'un parquet national antiterroriste a été différée afin de "prolonger la réflexion", a précisé Nicole Belloubet.
Répondant aux craintes des professionnels et des élus, le gouvernement a promis de ne supprimer aucun lieu de justice.
Une autre réforme importante concernant la justice sera examinée par le conseil des ministres le 9 mai, censée donner une indépendance accrue aux parquets. Une réforme que les professionnels de la justice jugent cependant déjà "a minima".
(Jean-Baptiste Vey, avec Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)