par Orhan Coskun et Ercan Gurses
ISTANBUL/ANKARA (Reuters) - La Turquie a poursuivi lundi le "nettoyage" de ses institutions après le coup d'Etat militaire avorté du week-end dernier, ravivant l'inquiétude des pays occidentaux qui exhortent Ankara à préserver l'Etat de droit.
Les chiffres disent l'ampleur des purges: d'après un haut responsable, 8.000 policiers ont été mis à pied du fait de leurs liens présumés avec les putschistes et, selon la chaîne CNN-Türk, 30 gouverneurs ont été relevés de leurs fonctions.
Le Premier ministre, Binali Yildirim, fait quant à lui état 7.543 interpellations, dont 6.038 dans les rangs de l'armée, depuis le début de la vaste entreprise de "nettoyage" voulue par le président Recep Tayyip Erdogan.
Les forces de sécurité continue à rechercher des soldats ayant pris part au coup d'Etat avorté mais, assure-t-on de source au sein de ces services, il n'y a désormais plus aucun risque de renversement du pouvoir.
La reprise en main passe aussi par la justice - plusieurs milliers de juges ont été démis de leurs fonctions - et l'administration - 1.500 fonctionnaires ont été suspendus en raison de leurs accointances présumées avec les réseaux de Fethullah Gülen, adversaire de longue date de Recep Tayyip Erdogan, selon le ministère des Finances.
Binali Yildirim a par ailleurs communiqué un bilan de 232 morts dans les violences déclenchées vendredi soir - 208 civils, policiers et soldats restés fidèles au régime et 24 putschistes. Un précédent bilan s'élevait à plus de 290 morts.
APPEL TÉLÉPHONIQUE MERKEL-ERDOGAN
Décidé à reprendre la main, Recep Tayyip Erdogan a déclaré dimanche, devant une foule de ses partisans, que le pays devait songer à rétablir la peine de mort, abolie en 2004 pour satisfaire aux critères d'adhésion à l'Union européenne.
"Le rétablissement de la peine capitale empêcherait le bon déroulement des négociations d'adhésion à l'UE", a cependant prévenu lundi le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, résumant la position de la plupart des piliers de l'Union.
La chancelière Angela Merkel a directement fait passer le message au chef de l'Etat turc lors d'un échange téléphonique, durant lequel elle a insisté sur le fait que la peine de mort n'était "en aucun cas compatible" avec une entrée dans l'UE, selon des propos rapportés par le porte-parole de son gouvernement.
Plusieurs organisations et pays occidentaux, alertés par les derniers développements, ont également exhorté Ankara à préserver l'Etat de droit.
"Nous appelons au plein respect de l'ordre constitutionnel en Turquie. L'Union européenne souligne l'importance du maintien de l'Etat de droit dans ce pays", a affirmé Federica Mogherini, Haute Représentante de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune.
"NOTRE AMITIÉ POURRAIT EN SOUFFRIR"
Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a tenu un discours similaire à l'issue d'une réunion à Bruxelles avec ses homologues européens.
"Nous sommes sans ambiguïté du côté du pouvoir élu en Turquie", a affirmé le secrétaire d'Etat américain, avant d'ajouter: "Mais nous exhortons avec fermeté le gouvernement turc à maintenir le calme et la stabilité dans le pays."
Le sort réservé au prédicateur Fethullah Gülen, que le gouvernement turc accuse d'avoir commandité le coup d'Etat depuis son exil aux Etats-Unis, vient également troubler les relations entre Washington et Ankara.
Les Etats-Unis, à qui la Turquie demandent que leur soit remis cet ancien proche de Recep Tayyip Erdogan, exigent des preuves de son implication dans les événements de vendredi soir.
"Nous serions déçus que nos amis (américains) nous demandent de présenter des preuves, alors même que les membres de l'organisation d'assassins cherchent à faire tomber un gouvernement élu, sous la direction de cette personne", a réagi lundi Binali Yildirim après un conseil des ministres.
"A ce stade, notre amitié pourrait même en souffrir", a ajouté le premier ministre.
Son gouvernement assure avoir repris pleinement le contrôle de la situation mais, dans les faits, la tension n'est pas totalement retombée en Turquie.
Recep Tayyip Erdogan a prorogé lundi l'ordre donné aux chasseurs de patrouiller dans l'espace aérien d'Istanbul et d'Ankara, et a interdit aux hélicoptères militaires de décoller d'Istanbul, dit-on de source proche de la présidence.
Le maire adjoint d'un quartier d'Istanbul a reçu une balle dans la tête, tirée par un inconnu, et se trouve dans un état grave, a rapporté la chaîne turque NTV, qui ne précise pas s'il y a un lien avec la tentative de coup d'Etat militaire.
Jusqu'à l'échec vendredi, la Turquie a une longue tradition remontant aux années 1960 de putschs menés par l'armée au nom de la laïcité, mais les militaires n'ont plus pris le pouvoir par la force depuis 1980.
(avec Alastair Macdonald et Robert-Jan Bartunek à Bruxelles, François Murphy à Vienne et les bureaux de Reuters; Simon Carraud pour le service français, édité par Marc Angrand)