par Gilbert Reilhac
COLMAR, Haut-Rhin (Reuters) - La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar a ordonné jeudi la remise en liberté de l'ancien Premier ministre kosovar Ramush Haradinaj, dans l’attente de l’examen d’une demande d’extradition que la Serbie doit adresser à la France en vue de le juger pour crimes de guerre.
La mesure est assortie d’un contrôle judiciaire qui l'oblige à rester sur le territoire français et à demeurer à Strasbourg, où il devra pointer deux fois par semaine au commissariat.
Ramush Haradinaj a été arrêté le 4 janvier à l'aéroport de Bâle-Mulhouse-Fribourg par la police des frontières à sa descente d'un avion en provenance de Pristina, capitale du Kosovo, en vertu d’un mandat d’arrêt international émis par la Serbie en 2004.
Chef rebelle pendant la guerre de 1998-1999 au Kosovo, il a été Premier ministre en 2004 et 2005 et dirige aujourd’hui l'Alliance pour l'avenir du Kosovo, un parti d’opposition. Jugé pour crimes de guerre par le Tribunal pénal international de La Haye pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), il a été acquitté à deux reprises.
L’examen de sa demande d’extradition, qui n’est pas encore parvenue au parquet général de Colmar, pourrait prendre "plusieurs semaines, voire plusieurs mois", selon l’avocat général Dominique Steinmetz.
La décision finale appartiendra au gouvernement français.
L’avocat général avait conclu au rejet de la demande de remise en liberté, jugeant trop incertaines les garanties de représentation de Ramush Haradinaj et "compte tenu des positions qui ont été (les siennes) au début de l’audience".
"Tout ça, c’est du cirque. Ce que vous faites est un abus de droit, un abus de la loi. Ce que vous faites est politique", a lancé aux juges l’ancien chef de guerre.
"Vous êtes au service de M. Milosevic", a-t-il ajouté, évoquant la figure du défunt président de la Serbie au temps des guerres dans l’ex-Yougoslavie et contre les indépendantistes kosovars, mort en détention en 2006 à La Haye, où il était jugé pour crimes contre l’humanité.
INSATISFACTION À BELGRADE ET À PRISTINA
Son avocate s’est quant à elle moins attardée sur les garanties de représentation de son client que sur la demande d’extradition dont elle a dénoncé le caractère illégal.
"La Serbie n’est pas compétente pour juger M. Haradinaj", a affirmé Me Rachel Lindon.
Seul un tribunal du Kosovo, désormais indépendant, ou le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie peuvent selon elle juger l’ancien chef de guerre, or cet dernier l’a acquitté par deux fois pour les faits que veut, selon elle, juger Belgrade.
Le gouvernement serbe doit se réunir vendredi pour faire le point sur la situation. "Même conditionnelle, la libération d'Haradinaj n'est pas une bonne nouvelle, en particulier pour les familles de ses victimes", a déploré Aleksandar Vulin, ministre serbe du Travail et des Affaires sociales, cité par l'agence de presse Tanjug.
L'Alliance pour l'avenir du Kosovo a pour sa part réclamé la fin de toutes les procédures judiciaires. "Nous considérons que la décision de le remettre en liberté sans l'autoriser à rentrer dans son pays n'est pas totalement juste. Il a répondu d'allégations de crimes de guerre lors de son procès à La Haye", souligne le parti dans un communiqué.
(avec Fatos Bytyci à Pristina et Ivana Sekularac à Belgrade; édité par Yves Clarisse et Jean-Philippe Lefief)