Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Dans la série « pédagogique », je vous propose aujourd’hui un petit focus sur la réglementation.
Nous avons tous entendu parler de la volonté des autorités d’encadrer et de réguler Bitcoin (et plus largement les cryptomonnaies). Un souhait tout ce qu’il y a de plus légitime car il faut bien admettre que si les crytos – enfin surtout la blockchain – constituent l’une des grandes révolutions du XXIe siècle, il subsiste encore à ce stade de nombreuses failles.
Les scandales et autres piratages ne cessent en effet de s’accumuler ces derniers mois, avec entre autres les hacks de Coinrail et de Bithumb pour ne citer que les plus récents…
Sur les marchés régulés, les autorités sont en revanche censées veiller au grain.
Initialement prévue pour le début de l’année dernière, l’entrée en vigueur de la directive MiFID II a finalement été reportée à début 2018, et il faut espérer qu’elle soit efficace et à même de colmater les dernières brèches. Car oui, il en reste ! J’en veux pour preuve l’histoire que je vais vous raconter…
▶ Un trader « express »…
Il y a pratiquement un an jour pour jour, un trader français, un certain Harouna Traoré, s’est exposé à plus de 5 Mds$ sur le future S&P500.
5 Mds$… Depuis l’affaire Kerviel, on n’avait plus revu de tels montants ! Surtout que dans cette « affaire », le compte de base à partir duquel une telle exposition a pu survenir à un instant T sur le marché ne dépassait pas 20 000€ !
Harouna Traoré travaillait pour Thomson Reuters. Il est ensuite devenu apprenti trader après huit semaines de formation (chez Krechendo Trading). Un apprentissage au pas de charge ! Je ne sais pas quel type de coach ou de formation a pu lui « vendre » qu’il serait indépendant et armé en à peine deux mois. Personnellement, cela va faire près de quinze ans que je suis presque quotidiennement sur les marchés et chaque semaine me force à l’humilité, mais soit…
Avec seulement 20 000€ sur son compte, Harouna Traoré a spéculé sur une position globale cumulée de 6,6 Mds$. Il a commencé par prendre des positions sur l’Euro Stoxx 50 pour une exposition nominale de plus de 1 Md€. Mauvaise pioche ! La Bourse était en baisse ce jour-là et son compte accusait alors un débit de 2,4 M€.
Désireux de rapidement se « refaire », Harouna Traoré a ensuite pris position sur le S&P500. A la faveur d’un retournement de marché en fin de séance, le solde de son compte est passé créditeur de plus de 10 M$, un beau rattrapage dans l’absolu…
C’est le principe de l’effet de levier avec les comptes sur marge : vous pouvez investir plus que ce que vous avez réellement sur son compte. Pour vous faire une idée, généralement, quand vous avez un dépôt de 20 000€ par exemple, vous pouvez à un instant T avoir une exposition en levier de 10 à 50 par exemple. C’est-à-dire, dans le cas précis de notre trader aventureux, être investi à hauteur de 200 000€ voire jusqu’à 1 M€ sur le marché.
Dans ce dernier cas extrême, les choses peuvent toutefois aller très vite et vous pouvez tout à fait « cramer » en quelques minutes vos 20 000€ de crédit… En général, votre courtier ne vous autorise à traiter que quelques contrats (disons entre 1 et 5, pas plus de 10 dans tous les cas). C’est le fonctionnement normal avec des brokers qui doivent avoir ce que l’on appelle des coupe- circuits.
Sauf que Harouna Traoré a selon Reuters détenu une position acheteuse de plus de… 34 000 contrats sur l’Euro Stoxx 50 puis de près de 44 000 contrats sur le S&P500 le 29 juin 2017 ! Pour remettre les choses en perspectives, la valeur d’un contrat future sur l’Euro Stoxx 50 vaut actuellement environ 34 000€ (10€ le point) et environ 137 500$ pour un seul contrat future S&P500 (50$ le point, l’indice cotant aux environs des 2 750 points en cette fin juin)…
▶ … et un courtier douteux
Heureusement pour Harouna Traoré, les choses se sont bien terminées. Requinqué, il réclame même désormais devant la justice les plus de 10 M$ qu’il avait en crédit sur son compte ; une somme qui avait depuis été gelée par son courtier britannique, un certain Valbury Capital.
Je vous avoue ne pas connaître cet intermédiaire financier, mais comme je vous l’ai déjà dit il y a une dizaine de jours, je pense que privilégier une certaine proximité n’est pas du luxe. En effet, notre trader en herbe n’avait manifestement jamais eu le moindre contact en amont avec son intermédiaire. Seuls ses relevés d’opérations lui étaient transmis chaque semaine. Sinon, rien, pas le moindre contact ni accompagnement préalable de la part de cet intermédiaire financier…
Or, quand vous intervenez sur des produits à marge (type futures ou CFD), votre position est calculée quotidiennement. C’est d’ailleurs probablement le fait que Harouna Traoré soit parvenu à terminer cette séance du 29 juin dans le vert qui explique le silence radio de Valbury Capital.
Mais que se serait-il passé en cas de clôture en territoire négatif ? Imaginez même que le 29 juin ait été une journée à plus forte volatilité. Il aurait très vite pu perdre plusieurs centaines de millions de dollars !
Ce qui est frappant dans cette histoire, ce sont bien sûr les fortes sommes engagées, mais également l’absence de contrôle et d’alerte dans la gestion du risque. A croire que les choses n’ont finalement guère changé dans l’industrie financière depuis l’affaire Kerviel…
Ces mésaventures ont néanmoins le mérite de mettre en lumière l’un des avantages majeurs des produits dérivés classique (Turbos essentiellement) que j’utilise au quotidien. Ici, le pire des risques est connu d’avance et même en cas de cygne noir, il est impossible de perdre plus que la prime de l’option.
Ce montant peut certes être conséquent, mais dans tous les cas les produits dérivés classiques ne peuvent pas conduire aux dérives caractéristiques de cette affaire Traoré dans laquelle il était possible de perdre (beaucoup) plus que les sommes déposées.
Espérons qu’avec l’entrée en vigueur de MiFID II en janvier dernier, les choses finiront enfin par se normaliser…