Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
L’inquiétude prédomine sur les marchés (enfin, surtout en Europe) depuis jeudi dernier, tandis que Donald Trump se félicite chaque jour des nouveaux sommets atteints par Wall Street. Sa façon d’applaudir son génial sens des affaires et sa maestria dans la refonte des règles du commerce international…
Le président américain s’y prend d’ailleurs tellement bien que le déficit de la balance commerciale des États-Unis s’est creusé de 10% à -50,1Mds$ au mois de juillet. Une dégradation due aux anticipations de la mise en œuvre de nouvelles sanctions douanières réciproques entre l’Oncle Sam et la Chine déjà, deux pays qui pourraient basculer dans une guerre commerciale totale ce jeudi.
Ce serait une erreur si colossale que Wall Street a passé son été à considérer comme nulle la probabilité de ce scénario. Et à quelques heures de la fin du compte à rebours, c’est à peine si les indices américains ont tressailli…
Et encore, la consolidation du Nasdaq n’a rien à voir avec « l’hypothèque chinoise », étant en l’occurrence liée au coup de mou des poids lourds de l’Internet (Twitter (NYSE:TWTR) a cédé un peu plus de 6%, Facebook (NASDAQ:FB) 2,3% et Google (NASDAQ:GOOGL) 1%).
▶ Le mal est déjà fait pour le commerce américain
Mais que Donald Trump commette ou non la folie d’instaurer 25% de droits de douane sur 200 Mds$ d’importations chinoises, le mal est déjà fait pour le commerce américain. La Chine avait en effet beaucoup importé de soja américain en juin, c’est-à-dire avant la hausse des tarifs douaniers, mais elle a fortement levé le pied le mois suivant avec leur entrée en vigueur.
Symétriquement, les entreprises américaines ont massivement importé, à titre préventif, les produits chinois susceptibles d’être frappés ces prochains jours de surtaxe (électronique, articles ménagers, pièces auto etc.). De même, les importateurs d’automobiles ont fait le plein de véhicules haut de gamme ont provenance d’Allemagne et d’Italie ces dernières semaines.
Bien leur en a pris puisque le président américain avait émis des menaces plus qu’explicites depuis le début de l’année, avant d’y renoncer début août à la suite du sommet de Washington avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker… puis de rétropédaler le week-end dernier, convaincu qu’il est de pouvoir en demander plus aux Européens pour favoriser les importations de voitures made in USA.
Donald Trump s’est également persuadé que les Etats-Unis pouvaient se passer du Canada et enterrer ce qu’il subsiste de l’ALENA (après que le Mexique se soit couché devant Washington) sans autre forme de procès. Disons-le tout net : il n’a que faire du nain économique qui borde sa frontière nord, il n’a que faire d’Angela Merkel, de Theresa May… et surtout il se moque éperdument des déficits, sauf si leur creusement peut servir de prétexte pour geler les salaires des « bureaucrates » qui vivent aux crochets de l’Etat.
Que faut-il en penser ?
Wall Street partage l’avis du locataire de la Maison-Blanche : les déficits ne sont pas un problème tant qu’il y a de la croissance… même achetée à crédit.
▶ Jean-Claude Trichet tire la sonnette d’alarme
Ci-devant président de la BCE, Jean-Claude Trichet, qui a eu à gérer la crise « Lehman Brothers » il y a 10 ans, considère de son côté la situation financière de la planète aussi dangereuse qu’à l’été 2008. Le prédécesseur de Mario Draghi a justifié son opinion par les niveaux d’endettement des Etats et des agents privés, notamment dans les pays émergents.
Toutefois, ces derniers n’éprouveraient pas autant de difficultés à se procurer des liquidités (et des dollars pour rembourser leurs dettes) si les Etats-Unis n’aspiraient pas la moitié de l’épargne mondiale disponible pour étancher leurs besoins gargantuesques de capitaux et par extension financer leurs fins de mois difficiles.
Le point de saturation est peut-être atteint avec un ajout de 5% de déficit budgétaire supplémentaire à la suite de la réforme fiscale, qui sert en tout premier lieu les plus riches parmi les plus riches (et ce sont les classes moyennes de la planète toute entière qui se cotisent). Il n’y a plus assez d’épargne disponible pour tout le monde et une fois encore, c’est « America First »… Que les autres se débrouillent !
Au bout du compte, Donald Trump pense maîtriser l’art du deal… mais maîtrise-t-il celui du boomerang ?
Qu’il surtaxe les produits chinois et c’est l’inflation qui explosera aux Etats-Unis, qu’il prenne ainsi sa revanche sur Pékin et la Fed sera dans l’obligation de porter ses taux d’intérêt au-delà du supportable. Qu’il punisse la Chine et c’est la croissance américaine qui finira par dévisser…