Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Il y a des journées des trois sorcières qui se passent bien (disons deux sur trois), certaines qui se passent même très bien (une sur quatre) et puis, de façon très exceptionnelle, des séances comme celle du 15 novembre durant lesquelles les investisseurs ont l’impression de vivre un rêve éveillé, de marcher sur l’eau, de se rire de l’attraction terrestre.
Ce 15 novembre, ce fut pour ainsi dire la totale ! Avec des gaps haussiers tous azimuts, une avalanche de records absolus en simultané, un optimisme au zénith, des « GAFAM » des grands jours et un appétit pour le risque format XXL…
Le prétexte de cette charge héroïque des « bulls » qui a porté le Dow Jones à 28 000 points, le S&P500 à 3 120 points et le Nasdaq à 8 540 points est bien sûr la fin, éternellement imminente, de la guerre commerciale.
Sauf que dans la vraie vie, il n’y avait aucune avancée pour justifier cette nouvelle poussée haussière de Wall Street, d’autant que le secrétaire d’Etat au Commerce Wilbur Ross a confirmé vendredi soir que Washington n’a pas donné son accord à la suppression des surtaxes douanières exigée par Pékin. Il n’est de surcroît même plus question d’une signature conjointe entre Donald Trump et Xi-Jinping.
Qu’à cela ne tienne : la turbine à « vaporware » continue de tourner à plein régime, alimentée par le même quarteron d’enfumeurs de la Maison-Blanche (Donald Trump, Steven Mnuchin, Robert Lightizer et Larry Kudlow) qui se succèdent pour nous faire miroiter la signature imminente d’un « accord de Phase-1 » avec Pékin.
Tout avait commencé le 10 mai dernier avec l’entrée en vigueur d’une hausse de 15% (de 10 à 25%) des droits de douane sur 200 Mds$ de produits chinois. L’annonce de cette escalade dans la guerre commerciale, survenue fin avril, avait fait corriger Wall Street et le CAC40 de 7% fin mai, des pertes qui ont cependant été intégralement effacées en moins de 3 semaines.
Ce rebond de fin de premier semestre semble avoir littéralement échappé aux gérants. Cela fait en effet cinq mois qu’ils ressassent semaine après semaine leur couplet sur cette guerre commerciale qui afflige les marchés, freine les initiatives, plombe les chiffres de la croissance et rend tout le monde méfiant.
Quel terrible épisode de déprime et de doute qui se solde en fait par un gain de 15% sur les marchés ! Il y a de bonnes raisons de croire que tout ira encore mieux quand Chinois et Américains auront signé la fin des hostilités douanières, avec peut-être encore 15% de plus à prendre et un Dow Jones à 32 000 points.
Quant au CAC40, il pourrait venir chercher les 7 000 points en mars prochain s’il continue sur le même rythme que les cinq derniers mois, considérant aussi qu’à en croire Patrick Artus, les actions françaises « devraient valoir beaucoup plus cher ».
D’autres stratèges nous expliquent qu’il va falloir apprendre à vivre avec des PER supérieurs de 30 à 50% à la moyenne historique. Moyenne qui ne veut en réalité plus rien dire vu l’abondance de liquidités assurée par les banques centrales et leur coût, qui demeurera nul ou négatif très longtemps avec Christine Lagarde aux commandes de la BCE.
La nouvelle normalité
Nous commençons en fait tout juste à prendre la mesure de ce qu’est la nouvelle « normalité ». En voici quelques caractéristiques :
– quatre semaines de hausse sans aucune consolidation supérieure à 0,6%.
– des records qui s’enchaînent alors que les volumes d’échanges s’effondrent depuis le 7 novembre : -25% en moyenne par jour, mais trois records battus en une semaine.
– de nombreux records récents ont été battus avec parfois davantage de replis que de hausses et de nombreux titres ont inscrit des plus bas en même temps que les vedettes -toujours les mêmes – enchaînaient record sur record.
– le S&P500 est devenu un « S&P-20 » et le CAC40 un « CAC8 », avec concernant ce dernier
huit valeurs qui pèsent à elles seules plus de la moitié du gain annuel de 25,5% du CAC40 et de 29,5% pour le CAC40 « GR ».
– la moitié de cette hausse sur le marché parisien s’est matérialisée depuis le 15 août.
– plus vertigineux encore, le CAC40 a pris 22% depuis le 18 novembre 2018, malgré des profits globalement en baisse de 5% depuis cette période.
– la volatilité s’effondre et le taux de couverture des portefeuilles (aversion au risque) est retombé au plus bas depuis deux ans (il y a 48% d’achats de « calls » en plus par rapport aux « puts »).
– le « fear & greed » Index est à 88%, au plus haut depuis octobre 2017.
La liste est relativement longue et pour le moins spectaculaire, mais le mouvement haussier se déroule avec si peu d’enthousiasme et d’exubérance qu’il serait totalement absurde de parler de bulle. Aussi, n’en parlons plus et attardons-nous plutôt sur la FED, qui a racheté en à peine deux mois quelque 280 Mds$, soit l’équivalent de ce qu’elle avait mis 22 mois à éliminer de son « bilan » (l’encours des instruments obligataires qu’elle détient).
Jamais la Réserve fédérale n’avait acheté autant de « papier » en si peu de temps depuis mars 2009 et si elle tient cette cadence, elle battra son propre record de 4 250 Mds$ d’ici la mi-mars.
Ce n’est pas une bulle, c’est une montgolfière !