Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Les données officielles de l’emploi américain sont à prendre avec beaucoup de vigilance, comme le démontre Philippe Béchade dans cette analyse une nouvelle fois sans langue de bois.
Les marchés continuent de se fier aveuglément aux rapports sur l’emploi (« NFP ») américain publiés chaque mois par le BLS (Bureau of Labor Statistics), alors que les chiffres rendus publics sont de plus en plus fictionnels.
Ah, si seulement Donald Trump n’avait pas été testé positif au Covid-19 et mis à l’isolement à l’hôpital militaire Walter Reed, il aurait peut-être pourfendu ces chiffres rageusement en les qualifiant de « fake news », son accusation favorite !
C’est du reste ce qu’il fit tout au long de la campagne présidentielle de 2016, accusant Barack Obama et son administration de falsifier les données du chômage en « oubliant » des millions d’Américains désespérés de retrouver un job et sortis des listes officielles des demandeurs d’emplois. Le futur président américain se faisait alors fort de leur redonner du travail et de mettre fin à cette mascarade statistique du « NFP ».
Toutefois, une fois au pouvoir, Donald Trump a probablement dû gérer d’autres priorités puisque les modes de calcul du Département du Travail n’ont pas été modifiés au cours de son mandat… Les critères d’admissibilité au statut de chômeur ont même été durcis cet été, rayant d’un trait de plume – ou plutôt d’un clic de souris – des centaines de milliers de chômeurs (supposés pouvoir être réembauchés, mais qui ne l’étaient pas) au mois d’août.
Cette « erreur » a bien été reconnue peu après la publication des chiffres début septembre, mais Wall Street s’était empressé de l’oublier… Les investisseurs considèrent en effet comme une réalité la contraction du taux de chômage de 14,7% en avril à 10,2% en juillet et à un peu moins de 8% en septembre, avec un surprenant -0,5% d’un mois sur l’autre alors que les embauches ont été divisées par plus de deux, de 1,37 million à seulement 661 000, soit près de 200 000 de moins qu’anticipé par les économistes.
Comment un tel prodige est-il possible ? Eh bien, comme lors des mois suivant la crise issue de la retentissante faillite de Lehman Brothers, des centaines de milliers de chômeurs découragés (700 000 le mois dernier) jettent l’éponge et cessent de rechercher un emploi. Quoique toujours chômeurs, ils ont disparu des listes faute de s’inscrire comme tels.
A ces sans-emploi dépités s’ajoutent plusieurs dizaines de milliers d’Américains, voire plus, dont les dossiers d’inscription sont mal renseignés ou jugés incomplets et qui se retrouvent eux aussi exclus de la liste des demandeurs d’emploi.
Ces réalités ne sont pas neuves, mais contribuent indéniablement à minorer le taux de chômage.
4,4 millions de disparus
La plus grosse ficelle, pour ne pas dire « arnaque », réside néanmoins dans le bidouillage du calcul du montant de la population active. Alors que le nombre d’habitants des Etats-Unis continue de croître à un rythme de 2% par an (on dénombre plus de 320 millions de citoyens américains), cette dernière est en effet tombée à moins de 50% de la population totale, à 160,1 millions en septembre contre 164,5 millions en février.
Ce qui signifie que 4,4 millions de personnes ont littéralement disparu des statistiques sans avoir été envoyées au cimetière par le Covid-19, lequel a fait officiellement 215 000 victimes, dont 90% âgées de plus de 65 ans et ne faisant donc pas partie de la population active. Il y a donc une incidence quasi-nulle concernant ces 4,4 millions d’individus dont personne à Wall Street ne semble se demander ce qu’ils sont devenus.
Cela devrait pourtant inquiéter les investisseurs, déclencher une vague d’enquêtes des grands médias américains, ne serait-ce que pour recouper les chiffres du BLS, mais rien ne se passe, ce qui illustre le dicton: « plus c’est gros, plus ça passe. »
Un autre indicateur plus large, baptisé « U-6 » et qui agrège les personnes en situation de « non-travail » (catégorie plus vaste que les chômeurs au sens du BIT), s’est pour sa part inscrit à 12,8% en septembre, soit un repli de 1,4% par rapport au mois précédent et 10% de moins qu’au mois d’avril. A en croire cet indicateur, plus de la moitié des 23 millions de personnes qui avaient perdu leur emploi au printemps ont repris le travail en l’espace de cinq mois, selon le gouvernement, ce qui est au mieux une “fiction” statistique complète (ou alors, il faut préciser que des millions de personnes n’ont pas repris à plein temps) et au pire un mensonge politique…
Un mensonge qui a traversé les époques, avec un Donald Trump qui s’en accommode avec le même cynisme que ses prédécesseurs.