Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Au moment d’achever la rédaction de cette chronique, à 9h ce matin, le sommet de l’Union européenne supposé s’achever hier soir n’avait donné lieu à aucun communiqué. Pas d’annonce d’accord donc, ce qui constitue une forme d’échec, quand bien même les négociations marathon sont en quelque sorte devenues une marque de fabrique des Vingt-Sept.
Angela Merkel avait certes donné le ton dès mercredi, prévenant que les négociations pourraient être compliquées et qu’il était possible qu’aucun résultat ne soit obtenu, tandis que son homologue français Emmanuel Macron incluait déjà de 35 à 40 Mds€ de subventions européennes dans son nouveau plan de relance de 100 Mds€.
Dès samedi, de nombreux observateurs à Bruxelles soulignaient pour leur part que les positions des pays dits « frugaux » (surnommés les « radins » ou les « vertueux », c’est selon) et celles des Etats dits « solidaires » (les « cigales » ou les « progressistes ») n’avaient sans doute jamais été aussi éloignées. Hier soir, le négociateur tchèque a quant à lui fait état de « divergences radicales et irréconciliables », un comble quand on sait que les deux camps avaient plus de six semaines devant eux pour tenter de déminer le terrain et de rendre les discussions plus fluides.
Las ! Toutes les hypothèses de compromis ont été étudiées dans l’intervalle, mais aucune piste ne s’est avérée fructueuse… Une situation qui s’explique pour partie par l’inflexibilité des Pays-Bas, qui refusent catégoriquement de prendre ce tournant que Paris et Berlin souhaitent imposer à l’Europe dans des circonstances exceptionnelles et qui appellent une réponse à la hauteur des enjeux historiques qui se présentent.
Sauf que tous les pays, notamment l’Autriche et la Finlande, n’ont pas géré le risque pandémique de manière aussi inefficace que la France dépourvue de masques ou que l’Italie, qui n’a procédé qu’à un confinement partiel de sa population, se refusant dans un premier temps à fermer bureaux et usines afin d’éviter un effondrement du PIB… Après tout, pourquoi les pays prévoyants et rigoureux dans la gestion de la crise sanitaire – et de leurs finances en général – devraient-ils payer pour leurs pairs qui n’ont pas été aussi efficaces, voire pire ?
L’efficacité est néanmoins un terrain glissant pour certains pays comme la Suède – qui fait partie des « frugaux » – et dont la stratégie sanitaire de refus opiniâtre du confinement n’a pas vraiment fait ses preuves en termes de vies sauvées.
La France, elle, n’avait ni conviction scientifique, ni stratégie, ni munitions, mais elle a un « plan » pour refonder l’Europe : faire payer les autres !
Ce n’est pas nouveau et c’est ce qui coince depuis des années. De son côté, l’Allemagne semble avoir changé d’avis au sujet d’une mutualisation des dettes et même d’un soutien unilatéral au profit de certains pays, par trop consciente que ses trois principaux partenaires commerciaux, la France, l’Italie et l’Espagne (secteur auto), sont au bord du gouffre et entraîneront immanquablement le pays dans leur chute.
L’intransigeance néerlandaise
Pour les Pays Bas, le Danemark ou encore la Suède, l’impact serait un peu plus indirect, mais l’Autriche a quant à elle une frontière commune avec l’Allemagne et l’Italie, et donc intérêt à ce que ces deux partenaires se portent le mieux possible.
Les Pays-Bas, encore eux, voudraient voir disparaître le volet « subvention » du plan de relance européen, estimant peut-être qu’avec ou sans accord, ils seront les grands perdants de l’affaire… voire que les Britanniques ont bien fait de recouvrer leur liberté de manœuvre.
D’autre Etats membres pourraient néanmoins considérer que les Pays-Bas sont un paradis fiscal qui coûte très cher à ses partenaires européens depuis trop longtemps. Nous ne devrions quoi qu’il en soit plus tarder à connaître le fond de la pensée des uns et des autres puisque la plupart des négociateurs parlent d’un moment de vérité, et la vérité est que sans harmonie fiscale (au moins à 90%) et sans transferts entre Etats (comme aux Etats-Unis), le projet européen risque de courir à l’échec.
Alors qu’Emmanuel Macron expliquait dans la nuit qu’« ‘il vaut mieux pas d’accord du tout qu’un mauvais accord » (comprenez pas à la hauteur des enjeux), les négociations marathon vont donc se poursuivre bien au-delà des délais impartis. De quoi laisser le temps d’entretenir les illusions, jusqu’au moment où il faudra bien faire face à l’évidence que si certains coureurs ne soutiennent pas les retardataires, ces derniers n’atteindront jamais la ligne d’arrivée.
Vers une entente « au rabais »
Avec un recul de l’ordre de 1% peu après l’ouverture lundi, les investisseurs manifestaient, eux, une vague inquiétude. De toute évidence, la plupart ont cependant déjà intégré le scénario d’un échec et que le sommet « crucial » de l’UE ne constituerait en fait qu’un premier round avant de s’entendre sur un montant réduit (à 400 voire à 300Mds€) de dons des pays « fourmis » au profit des pays « cigales ».
Or, c’est cette conversion des dons en demande de prêts (la ligne dure prônée par les Pays Bas et le Danemark) dont Emmanuel Macron ne veut pas entendre parler… parce que la solidarité (surtout celle des autres), dans les circonstances actuelles ne saurait se marchander.
Peu importe désormais que les pourparlers aboutissent ou non à une solidarité –inévitablement – au rabais : du point de vue américain comme du point de vue asiatique, l’Europe vient à nouveau de démontrer son incapacité à se donner les moyens de relancer sa machine économique.
Les investisseurs eurosceptiques avaient donc raison de parier que les indices boursiers du Vieux Continent ne sont pas prêts de combler leur retard sur leurs homologues d’outre-Atlantique.