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Quand le vaccin est aussi une arme politique

Publié le 09/12/2020 12:51
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La campagne de vaccination qui arrive est la meilleure nouvelle de cette année 2020. Enfin une lumière au bout du tunnel ! Les vaccins représentent un triomphe de la science. Ils sont le résultat d’une volonté des Etats et des organisations supranationales. Mais ils sont aussi un enjeu géostratégique, un moyen de pression et une arme entre les mains des pays les plus puissants.

C’est entendu ! Le Royaume-Uni sera donc le premier pays occidental à démarrer sa campagne de vaccination contre la Covid-19 en autorisant le vaccin Pfizer/BioNTech. Elle débutera cette semaine, sans attendre le feu vert officiel de l’agence européenne du médicament.  Cette décision, qui a pris de court les Européens et les Américains, est clairement le résultat d’une volonté politique.

A l’heure où les Britanniques sont à la veille de quitter définitivement l’UE, avec ou sans deal, il leur fallait marquer un coup pour célébrer leur souveraineté retrouvée. En décochant quelques flèches au passage à leurs anciens partenaires. Le Secrétaire d’Etat à l’éducation Gavin Williamson n’y est pas allé par quatre chemins : « Nous avons les meilleurs régulateurs dans le domaine médical. Bien meilleurs que ceux des Français, des Belges ou des Américains. Parce que notre pays est un bien meilleur pays que n’importe quel autre ». Et le Secrétaire d’Etat à la santé Matt Hancock d’enfoncer le clou en déclarant que les Britanniques ne se sont pas pliés « au rythme des Européens, qui avancent un peu plus lentement ». Ambiance !

Une réaction nationaliste de mauvais goût

Ces déclarations triomphalistes ont été plutôt mal reçues. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a répliqué que le Royaume-Uni avait donné la priorité à la rapidité de mise sur le marché en négligeant le fait qu’il fallait aussi gagner la confiance de la population.  Le ministre allemand de la santé Jens Spahn a déclaré, quant à lui, que l’Europe avait délibérément opté pour une autre approche, celle consistant à autoriser le vaccin après avoir analysé toutes les données, en vue de renforcer la confiance des citoyens. Et d’ajouter : « L’important n’est pas d’être le premier, mais d’avoir un vaccin sûr et efficace ».

De son côté, Anthony Fauci, l’homme clé de la task force Covid19 aux Etats-Unis, a déclaré que le Royaume-Uni « n'avait pas examiné aussi attentivement » le vaccin de Pfizer/BioNTech que l'Agence américaine du médicament (FDA). Un préalable pourtant indispensable car ce vaccin est le premier au monde à exploiter une technologie d’avant-garde basée sur l’ARN messager et à être administré à une telle échelle. La tâche la plus urgente est donc de convaincre les gens que le vaccin est sûr et n’entraîne pas d’effets secondaires graves, ce qui est loin d’être évident quand on sait que 30% à 50% de la population refuse de se faire vacciner ou hésite à le faire.

A vrai dire, le Brexit n’est strictement pour rien dans l’initiative britannique. Le Royaume-Uni fait encore partie du marché unique jusqu’au 31 décembre et c’est en vertu d’une clause spéciale de la législation européenne, prévoyant l’autorisation provisoire d’un traitement en urgence, qu’il a pu prendre sa décision.

Le réflexe nationaliste des Britanniques est d’autant plus mal placé qu’un vaccin comme celui de Pfizer/BioNTech est le résultat d’un effort multinational. A partir du génome du virus décodé par les Chinois, ce vaccin a été conçu par une biotech’ allemande, partiellement financée par un fonds de recherche de l’UE et dirigée par un couple de savants d’origine turque, pour être ensuite fabriqué en Belgique par une firme pharmaceutique américaine. On peut difficilement faire mieux en matière de coopération internationale.

Grandes manœuvres autour des vaccins

D’un autre côté, il n’est pas surprenant qu’un traitement aussi essentiel pour l’humanité devienne l’enjeu d’intérêts stratégiques. Car c’est une véritable lutte d’influence doublée d’une course de vitesse à laquelle on assiste en ce moment. Plus que tout autre produit, le vaccin est un révélateur qui fait apparaître les tensions entre idéologies opposées : souverainisme contre multilatéralisme, repli sur soi contre coopération. Il épouse également les lignes de démarcation géopolitiques traditionnelles. La Chine et la Russie ont ainsi fait cavalier seul en mettant au point leurs vaccins nationaux, qu’elles espèrent distribuer dans d’autres pays. Elles en ont fait un élément central de leur diplomatie et espèrent en tirer un profit politique.

La Russie, qui a approuvé son vaccin Spoutnik V en août, sans attendre les résultats des essais cliniques de phase III, espère convaincre plusieurs pays fortement touchés par le virus, comme le Pérou, le Venezuela ou le Brésil et négocie en ce moment des accords de production avec l’Inde. Pour prouver que le vaccin est sûr, elle vient de démarrer une campagne de vaccination à Moscou auprès du corps médical et des professions à risque. 70 hôpitaux ont été mobilisés à cet effet.  Mais Spoutnik V est fragilisé par le manque de transparence de la recherche russe. N’ayant pas accès aux résultats cliniques de ce vaccin, les experts occidentaux restent sceptiques sur son efficacité.

Les spécialistes se méfient aussi des deux principaux vaccins chinois, celui de l’entreprise publique Sinopharm et celui de la société privée Sinovac (appelé CoronVac), développés à partir d’une version atténuée ou inactivée du SARS-CoV-2. Comme les Russes, les Chinois ont commencé à vacciner leur population sans attendre les résultats de la phase 3. En novembre, un million de Chinois avaient déjà été vaccinés avec le Sinopharm.

En raison de l’absence de cas de Covid19 en Chine, Sinopharm teste en ce moment son vaccin au Pérou, au Maroc et en Egypte. Sinovac, de son côté, effectue ses essais cliniques au Brésil, en Turquie et en Indonésie, laquelle a commandé 40 millions de doses. Tous ces pays sont susceptibles de servir de débouchés aux vaccins chinois.  Les informations sur ces vaccins restent toutefois fragmentaires. De plus, Sinovac a déjà été accusé de corruption par le passé, ce qui est peut-être un atout pour s’implanter dans certains pays mais ne milite pas en sa faveur.

Succès de l’opération « Warp Speed »

Le nationalisme sanitaire ne se limite pas aux pays autoritaires. Bien que la recherche scientifique ne soit pas contrôlée par l’Etat comme en Russie ou en Chine, l’administration américaine a fait de la production d’un vaccin un enjeu national, aussi important que le projet Manhattan ou l’envoi d’un Américain sur la lune.  Faute d’avoir anticipé et géré convenablement la pandémie, elle a mis sur pied un partenariat public-privé baptisé « Operation Warp Speed », destiné à accélérer le développement de vaccins et d’autres traitements, l’objectif étant de contrôler leur production et leur distribution.

Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur la personnalité de Donald Trump, force est de reconnaître que l’opération « Warp Speed » a été un succès, comme l’a confirmé Anthony Fauci. Dans le cadre du Warp Speed, plus de 18 milliards de dollars ont été investis dans les programmes de recherche de 8 vaccins potentiels.

L’opération a permis d’élaborer en moins d’une année, un vaccin de classe mondiale (Moderna), basé sur une technologie innovante. Il sera bientôt suivi d’autres vaccins (AstraZeneca (LON:AZN), Johnson & Johnson (NYSE:JNJ), Sanofi/GSK etc). Le programme de financement a également contribué à la mise au point de trois cocktails d’anticorps monoclonaux, dont celui de la firme Regeneron, qui semble avoir fait ses preuves sur le président des Etats-Unis.

Exception notable, l’association Pfizer/BioNTech a refusé de faire partie de l’opération, arguant qu’elle n’acceptait pas l’argent public et aussi parce que son programme de recherche avait démarré de façon indépendante. Pfizer/BioNTech a en revanche accepté une commande du gouvernement américain portant sur 100 millions de doses (soit 2 milliards de dollars).

Bien sûr, les Américains se sont réservés un droit de préemption sur la plupart des vaccins financés par leurs soins. « America First » n’est pas un vain slogan ! Au printemps dernier, alors qu’elle n’avait pas encore lancé son opération Warp Speed, l’administration Trump avait proposé une somme importante à la biotech’ allemande CureVac pour avoir un accès prioritaire à sa technologie. Une initiative très mal vue en Allemagne et qui avait fait long feu. On se rappelle aussi qu’à la même époque, Sanofi (PA:SASY) avait fait scandale en réservant la primeur de son futur vaccin aux Américains. Ce qui avait fait réagir le porte-parole de la Commission européenne pour lequel « un vaccin devait être équitable et universel ».

Des vaccins en abondance dans les pays riches

Au début de la pandémie, on pouvait craindre que les Etats-Unis et d’autres grands pays monopoliseraient les vaccins pour leur propre usage et ne laisseraient que des miettes aux autres. Fin 2020, on constate que ce pessimisme n’était pas tout à fait justifié. Il suffit de penser qu’un petit pays comme la Belgique a précommandé 5 vaccins différents pour un total de 22 millions de doses. L’Union européenne a passé des accords pour assurer la distribution de 6 vaccins différents en 2021 pour un total allant de 1,2 à 2 milliards de doses, soit largement plus que les besoins des 450 millions d’Européens. Ceci sans tenir compte que 30% d’entre eux au moins refuseront de se faire vacciner.

Malgré cette abondance de biens dans notre hémisphère, nous sommes encore loin d’une situation où les vaccins seraient disponibles pour tous. Les besoins des pays développés – Etats-Unis, UE, Royaume-Uni, Japon, Canada - auxquels il faut sans doute ajouter la Russie et la Chine, seraient globalement assurés. D’après la revue « Nature », les capacités de production des trois vaccins Pfizer (NYSE:PFE), Moderna et AstraZeneca seraient estimées à 5,3 milliards de doses en 2021, couvrant les besoins de 2,6 à 3,1 milliards d’individus. La part du lion étant détenue par AstraZeneca avec 3 milliards de doses, en raison de son coût moins élevé à l’unité et de ses facilités de stockage. Quelques milliards de terriens resteraient néanmoins sur la touche.

Pour pallier ce manque, 171 pays, - auxquels s’ajouteront les Etats-Unis dès que Joe Biden sera à la Maison Blanche, - ont décidé de joindre leurs efforts dans le cadre d’une initiative baptisée Covax. Son but ? Assurer courant 2021 la distribution de 2 milliards de doses de vaccins dans les pays émergents et non développés. Il est probable que ces doses proviendront en partie des stocks surnuméraires de vaccins des pays développés, en tout cas ceux qui seront à un prix abordable et faciles à stocker. Il est tout aussi probable que Covax permettra aussi à la Chine et à la Russie d’écouler une partie de leur production de moindre qualité pour consolider leurs alliances et se faire de nouveaux amis.  Preuve que le vaccin, que ce soit pour cette pandémie ou la suivante, est aussi une arme politique de choix.

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