Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Parlons un peu de Pékin et des ripostes possibles qu’elle pourrait mettre en place pour gêner les Etats-Unis. La chute de Wall Street, vendredi, a fait rebasculer les indices dans le rouge sur la semaine écoulée. Nous évacuons d’entrée de jeu les (mauvais) chiffres de l’emploi américain du mois de mars (créations trois fois moins nombreuses qu’en février) puisque Wall Street les a superbement ignorés.
▶ Escalade vers une guerre commerciale sino-américaine ?
Non, en réalité, le catalyseur de ce nouvel accroc (-750 points sur le Dow Jones en intraday. C’est au moins la 4e alerte de cet acabit cette année) fut une nouvelle escalade de menaces de sanctions douanières dans la guerre commerciale sino-américaine. La veille, jeudi, les commentateurs avaient tenté de nous convaincre que la hausse de +1 000 points du Dow Jones était le reflet de ce que Wall Street pensait « vraiment ». Et que ceux qui vendaient le marché au moindre Tweet vengeur de Trump étaient des benêts. Il est vrai que le bluff est l’ingrédient incontournable d’une une partie de poker (menteur) commercial.
Nous avons, de notre côté, largement disséqué les catalyseurs du bras de fer sino-américain dans le dernier numéro de notre lettre mensuelle paru la semaine dernière. Et nous n’arrivons qu’à une seule conclusion : c’est le commerce et l’économie mondiale qui vont pâtir de cet affrontement commercial. Et les Bourses ne tiendront pas longtemps sur ces niveaux.
▶ Comment Pékin pourrait riposter ? En réduisant ses T-Bonds…
Il suffirait par exemple que la Chine réduise ses achats de T-Bonds. Cela entraînerait un resserrement des conditions financières aux Etats-Unis. Son excédent commercial s’est encore creusé au mois de février, les entreprises chinoises ont du dollar à recycler. Elles pourraient les échanger contre d’autres devises de réserve, ou même acheter de l’or (ce que la BPoC fait déjà).
Pékin pourrait aussi limiter l’accès des entreprises américaines au marché intérieur chinois, en particulier dans le secteur des « services ». C’est l’un des rares domaines, avec l’aéronautique et le soja où les Etats-Unis affichent un excédent vis-à-vis de la Chine (de l’ordre de 38 Mds$).
▶ Ou en important du brut iranien
Pékin pourrait aussi réduire ses importations de pétrole brut américain « lourd », ce qui affecterait les producteurs US. La Chine ne se conformera pas au renforcement prévisible des sanctions US à l’encontre de l’Iran. Elle pourrait donc accroître ses importations de brut iranien. Téhéran n’attend que cela puisque la Chine est son principal fournisseur de biens de consommation.
▶ Moins d’exportation de terres rares ?
Pékin pourrait également réduire ses exportations de terres rares. Même s’il en existe dans d’autres pays, ce n’est qu’à l’état de réserves. La Chine dispose de fait d’un monopole quasi mondial sur la production. Rappel : les terres rares constituent un élément essentiel de tous les appareils de haute technologie tels que téléphones cellulaires, ordinateurs, objets connectés, avions de combat et missiles, drones. La liste est quasi infinie. Il n’existe à l’heure actuelle aucun substitut et aucune autre source d’approvisionnement disponible pour les Etats-Unis qui en sont les principaux importateurs mondiaux.
Lorsque la Chine avait bloqué temporairement ses exportations de terres rares vers le Japon pour mettre la pression dans le cadre du conflit territorial sur les îles Spratleys en mer de Chine orientale (2011/2012), le prix des terres rares avait explosé. La Silicon Valley et la Caroline du Nord seraient cette fois les premières impactées, avec des usines high tech rapidement contraintes au chômage technique !
▶ Acte de guerre en vue ?
Washington a déjà fait savoir qu’un embargo sur les terres rares serait considéré comme un acte de guerre. Pékin ne s’y résoudra que si les stratégies plus soft échouent. Mais la Chine est déterminée à riposter sans faiblesse, se considérant comme « agressée ». Et Xi Jinping ne peut inaugurer son ère de dirigeant plénipotentiaire en « perdant la face », ce qui le fragiliserait aussi bien sur la scène intérieure qu’internationale.
▶ Mauvaise nouvelle : le crédit se dégonfle
Mais n’oublions pas de regarder l’élément fondateur de tout l’écosystème et qui, bien avant le jeu de barbichette de Trump, pourrait à lui seul faire s’effondrer nos économies et les marchés : le crédit à la consommation. Dans ce domaine, nous disposons de chiffres précis, fiables, non biaisés et donc significatifs. En effet, le crédit à la consommation s’essouffle avec une augmentation de seulement 10,6 Mds$ (après +15,6 Mds$ en janvier), soit un taux de croissance annuel ramené à +3,3%. Par ailleurs le revolving (crédit renouvelable sur les cartes de crédit) n’a augmenté que de 0,2% en février. C’est le plus faible score depuis novembre 2013. On commence à mesurer l’impact de taux courts s’étageant entre +1,75% sur 1 mois et +2,3% sur 2 ans.
Les taux à 5 et 10 ans se montrent bien plus stables : ils ont même reculé la semaine dernière et se replient depuis fin janvier. D’où une bonne dynamique persistante sur les prêts automobiles et étudiants qui ont augmenté de +4,4%. Mais les taux longs pourraient se remettre à grimper, à recreuser un peu d’écart par rapport au « jour le jour ». Le spread est retombé à moins de 100 points si jamais la Chine s’avisait d’envoyer quelques « messages » à la Maison-Blanche.