Le premier constat qu’on peut faire c’est qu’au regard de l’évolution récente des marchés financiers, la BCE aura à la fois à gérer la complexité technique du QE et de la sortie mais aussi l’incertitude économique liée aux tensions géopolitiques en Asie. L’indice de risque politique (qui repose sur les travaux de Caldara et Iacoviello) est actuellement à son plus haut niveau depuis l’invasion de l’Irak en mars 2003 (à 284 contre 455 à l’époque). A titre de comparaison, en moyenne historique, l’indice était à 83,7 sur la période 1900-2017. Dans ce contexte volatil, il est évident que la BCE devra adapter sa communication et faire preuve de la plus grande prudence pour éviter une sur-réaction des marchés financiers ce jeudi.
Du point de vue économique, la performance de la zone euro est à saluer, ce qui constitue un argument en faveur de la sortie progressive du QE. La croissance économique devrait dépasser 2% cette année. L’indice de surprise économique de Citigroup (NYSE:C), qui permet d’avoir une vision globale des statistiques macroéconomiques, reste bien orienté et continue d’afficher une meilleure performance que l’indice pour les USA et celui pour le G10.
Allant dans le même sens, on constate que l’indicateur avancé de croissance Eurocoin poursuit sa hausse entamée à partir de 2014 (+0,67% en août).
Par ailleurs, notre indicateur « Credit Impulse » maison (qui mesure la variation des nouveaux crédits par le secteur privé en pourcentage du PIB) reste sur une tendance positive, notamment en ce qui concerne les pays core comme la France et l’Allemagne.
En revanche, les disparités économiques entre le Nord et le Sud de l’Europe demeurent, comme le montre le déclin de l’indicateur « Credit Impulse » pour l’Italie depuis son point haut d’avril 2016.
Néanmoins, le principal défi pour la BCE concerne l’évolution de l’inflation. Seulement cinq pays membres (Autriche, Belgique, Allemagne, Luxembourg, Espagne) ont une inflation proche de la cible de la BCE. En outre, malgré la stabilisation de l’été à 1,3%, l’inflation sous-jacente reste encore à la traîne.
Notre modèle de DGI (Domestically Generated Inflation) qui permet de mesurer l’inflation domestique à partir du déflateur du PIB, de l’évolution des prix dans les services et de la croissance des salaires, indique clairement qu’aucun sursaut n’est en perspective. Seulement des facteurs externes (à savoir une hausse des prix de l’énergie) pourrait permettre à la BCE d’atteindre son objectif à court et à moyen terme. En se basant sur l’affaiblissement du DGI et l’appréciation de l’euro (la BCE se basant dans ses projections de juin dernier sur une paire EURUSD à 1,09), il est quasi-certain que la banque centrale devra rapidement revoir à la baisse ses prévisions d’inflation pour les années à venir.
Si la BCE ne parvient pas à canaliser la hausse de l’euro, cela aura un net impact négatif sur la croissance et les résultats des entreprises. Depuis décembre dernier, l’euro est en hausse de 12% face à l’USD et de 6% en moyenne face aux monnaies de ses 38 principaux partenaires commerciaux. En règle générale, on considère qu’une appréciation de 10% de l’euro entraine une baisse entre 7% et 8% des résultats des grandes entreprises cotées en Europe. Par conséquent, il ne faudra certainement pas attendre bien longtemps avant de voir les premiers effets négatifs de l’euro « fort » dans les données économiques.
Conclusion
L’enjeu est double pour la BCE ce jeudi :
1) En raison du risque géopolitique et de l’inflation sous-jacente encore fiable, la BCE devra peser ses mots afin d’éviter une sur-réaction des investisseurs. Elle devra envoyer le message que sa politique monétaire restera accommodante pendant une période encore prolongée, peu importe la décision qui sera prise concernant le QE.
2) L’objectif de court-terme est de stopper l’appréciation de la monnaie unique qui, bien qu’elle reflète une amélioration économique indéniable, risque de compliquer sérieusement la tâche de la BCE dans les mois à venir.