par Patrick Graham
LONDRES (Reuters) - Il n'a fallu que huit heures mercredi au marché des changes pour passer à la broyeuse le scénario qui prévalait depuis un mois selon lequel une élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis serait mauvaise pour le dollar.
Certes, comme l'avaient prédit des dizaines de banques, d'analystes et de gérants, le billet vert s'est effondré dans un premier temps face au yen en réaction à la victoire du candidat républicain, perçue comme porteuse de risques majeurs pour la croissance, le commerce et la sécurité dans le monde.
Les volumes de transactions dollar/euro ont atteint dix fois la moyenne au Japon et à Hong Kong et les autorités japonaises ont organisé une réunion exceptionnelle pour étudier la nécessité de mesures destinées à apaiser le marché.
Mais quelques heures plus tard seulement, au lever du jour à New York, le dollar ne perdait plus que 0,5% face à la devise japonaise et il était reparti à la hausse face à l'euro et au franc suisse.
Dans leurs commentaires de mercredi, plusieurs grandes banques internationales, comme HSBC, ont souligné les risques à court terme de l'élection de Donald Trump pour le dollar, mais elles n'ont pas pour autant modifié leurs prévisions à plus long terme.
En fait, pour nombre de cambistes, le discours tenu par le président élu pendant toute la campagne est globalement favorable au dollar, notamment parce qu'il devrait permettre le retour de centaines de milliards de capitaux aux Etats-Unis.
"Les implications à moyen et long termes sont extrêmement difficiles à évaluer parce qu'il y a beaucoup d'inconnues sur la réalité de la mise en oeuvre du programme de Donald Trump et des annonces pré-électorales", expliquent les analystes d'UniCredit dans une note.
UN TON CONCILIANT
"Nous sommes en train d'étudier de près la situation et nous réviserons probablement un certain nombre de nos prévisions", ajoutent-ils.
Les prédictions d'une chute du dollar si Trump l'emportait mardi se fondaient surtout sur l'hypothèse d'un choc sur les marchés susceptible de contraindre la Réserve fédérale à renoncer à la hausse de taux d'intérêt attendue le mois prochain. Mais le rebond très rapide et marqué des marchés actions a vite remis en cause ce raisonnement, la probabilité estimée d'une hausse de taux en décembre remontant à plus de 70%.
"La hausse de taux de la Fed est de nouveau d'actualité, même avec Trump à la Maison blanche", estime Kathleen Brooks, responsable de la recherche du courtier City Index à Londres.
"Le ton conciliant de Trump dans son discours de victoire a peut-être apaisé certaines inquiétudes, ou peut-être les marchés n'ont-ils aucune idée de la manière d'évaluer l'impact de sa victoire faute de précédent historique."
George Saravelos, principal responsable de la stratégie de Deutsche Bank (DE:DBKGn) à Londres, ne voit quant à lui aucune raison de remettre en question ses prévisions, qui figurent parmi les plus optimistes sur les perspectives d'évolution du dollar.
Comme beaucoup d'autres, il met en avant la perspective d'un rapatriement massif aux Etats-Unis d'avoirs en dollar par des multinationales en cas d'amnistie fiscale, ainsi que les promesses de Trump d'augmenter les dépenses budgétaires.
"Il y a d'une part l'aspect budgétaire favorable et puis la réforme de l'impôt des sociétés, qui pourrait déboucher sur des rapatriements importants", dit-il, évoquant "un message global assez solide favorable au dollar".
UN RAPATRIEMENT MASSIF DE CAPITAUX POSSIBLE
Avant l'élection, Donald Trump et Hillary Clinton ont l'un comme l'autre promis des mesures visant à inciter les grandes entreprises à rapatrier aux Etats-Unis une partie des quelques 2.100 milliards de dollars (1.920 milliards d'euros) qu'elles conservent hors du pays pour éviter qu'ils soient soumis à l'impôt sur les sociétés.
Le fait que le Parti républicain ait conservé la majorité au Sénat comme à la Chambre des représentants renforce la perspective d'une mesure comparable à l'Homeland Investment Act de George W. Bush, qui avait permis le retour de quelque 300 milliards de dollars de capitaux il y a une dizaine d'années, favorisant à l'époque l'appréciation du dollar.
L'impact potentiel sur le billet vert d'une telle initiative reste toutefois sujet à débat, notamment parce que les comptes d'Apple (NASDAQ:AAPL), Microsoft (NASDAQ:MSFT) et d'autres multinationales concernées suggèrent que leurs avoirs à l'étranger sont déjà libellés en dollars, ce qui limiterait les conséquences de leur rapatriement. Reste que les spéculations sur le sujet ont favorisé la devise américaine depuis plusieurs mois déjà.
"Le fait que des entreprises américaines détiennent hors du pays des réserves de liquidités d'un montant sans précédent est l'une des raisons pour lesquelles une nouvelle amnistie fiscale sur les rapatriements pourrait apporter au dollar un soutien plus important qu'en 2005", estimait ainsi Morgan Stanley (NYSE:MS) dans une étude publiée en juillet.
"Nous soulignons toutefois que le chiffre global des bénéfices détenus à l'étranger dépasse le montant des devises non couvert, qui est pertinent pour le marché des changes."
George Saravelos, chez Deutsche Bank, se veut quant à lui prudent sur la parité dollar/yen, expliquant que si Donald Trump impose des barrières douanières contre les produits fabriqués en Chine ou ailleurs, une partie des capitaux détenus dans les pays visés pourraient se réfugier au Japon.
"Nous voyons le yen se porter mieux que tous les autres grâce à la rupture que cela provoquerait en Asie. Nous voyons le yen à 94 pour un dollar d'ici la fin de l'année", précise-t-il.
Jeudi, le yen se traitait autour de 106,15 pour un dollar à 10h00 GMT.
(Marc Angrand pour le service français)