par Toby Sterling et Anthony Deutsch
AMSTERDAM (Reuters) - La droite du Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a gagné les élections législatives aux Pays-Bas, devançant largement l'extrême droite de Geert Wilders au terme d'un scrutin qui avait valeur de test pour les partis traditionnels en Europe.
"Ce soir, après le Brexit, après la présidentielle américaine, les Pays-Bas ont dit stop à ce populisme d'un mauvais genre", a lancé mercredi soir le chef du gouvernement sortant, rayonnant, à ses partisans.
Mark Rutte a reçu les félicitations de nombre de ses voisins européens, notamment de la France, où François Hollande a salué sa "nette victoire contre l'extrémisme", et de l'Allemagne, les deux poids lourds de l'Union européenne également engagés dans des campagnes électorales incertaines.
Avec 33 des 150 élus de la chambre des députés, le Parti populaire libéral et démocrate (VVD) perd, certes, huit sièges par rapport aux précédentes législatives, il y a cinq ans, mais fait mieux que ce que les derniers sondages prévoyaient et repousse le Parti pour la liberté (PVV).
La formation de Geert Wilders progresse de cinq sièges et devient la deuxième force politique du Parlement, mais avec 20 élus, elle rate son pari d'égaler son score de 2010 (24 élus).
"J'aurais préféré être le plus grand parti. Mais nous avons gagné des sièges. C'est un résultat dont nous pouvons être fiers (...) Nous étions le troisième parti des Pays-Bas. Nous sommes aujourd'hui le deuxième. La prochaine fois, nous serons le premier", a commenté Geert Wilders.
Il a promis de conduire une opposition féroce s'il n'entre pas dans une coalition de gouvernement. Dans la soirée, le chef de file du PVV avait lancé sur Twitter : "Et Rutte n'en n'a pas encore fini avec moi !!"
PROGRESSION SPECTACULAIRE DES ÉCOLOGISTES
L'ensemble de la classe politique néerlandaise a exclu de constituer une coalition avec le parti eurosceptique et islamophobe. Cette hypothèse reste la plus probable.
Derrière, l'Appel chrétien-démocrate (CDA) de Sybrand Buna et les sociaux-libéraux des Démocrates 66 d'Alexander Pechtold enregistrent des gains importants (respectivement +6 et +7) et disposeront chacun de 19 sièges.
Sous la houlette du trentenaire Jesse Klaver, les écologistes de Groen Links (la Gauche verte) réalisent la progression la plus impressionnante, passant de quatre à 14 élus.
D'origine marocaine par son père et indonésienne et néerlandaise par sa mère, Jesse Klaver a mené une campagne à contre-courant des discours sur une culture néerlandaise menacée. C'est le populisme d'extrême droite qui menace les traditions néerlandaises, et non pas l'immigration, a-t-il ainsi affirmé.
A l'inverse, le Parti travailliste (PvdA), traditionnel acteur du jeu politique aux Pays-Bas et membre de la coalition sortante, s'effondre. Il perd 29 sièges et, avec neuf députés, recule de deuxième à septième force politique au Parlement.
L'EFFET ERDOGAN
La campagne électorale a largement tourné autour des thèmes de l'immigration et de l'identité, sur lesquels VVD et CDA ont repris nombre des thèses du PVV, et a connu une brutale accélération dans la dernière ligne droite avec la crise diplomatique avec la Turquie qui a éclaté au cours du week-end.
La fermeté affichée par le gouvernement de Mark Rutte, qui a refoulé deux ministres turcs envoyés auprès des Turcs de la diaspora pour prôner le oui au référendum constitutionnel du 16 avril, a semble-t-il joué en sa faveur.
"Rutte a tiré profit de sa droitisation mais aussi du fait que Wilders s'est beaucoup radicalisé ces dernières années et qu'il était invisible dans cette campagne", (le patron du PVV a attendu la dernière semaine pour participer à des débats-NDLR), analyse Cas Muddle, professeur associé à l'Université de Georgie.
"Et là-dessus, le président turc Recep Tayyip Erdogan a offert à Rutte un joli cadeau".
SOULAGEMENT EUROPÉEN
La forte participation - 80% contre 74,6% lors de la dernière élection en 2012 - témoigne de l'intérêt porté à un scrutin qui, au moins symboliquement, dépassait les frontières des Pays-Bas.
Une victoire du parti islamophobe de Geert Wilders, après le succès du Brexit au référendum britannique de l'été dernier, aurait été vue comme un pas de plus franchi en Europe dans le déclin des partis traditionnels. D'où l'empressement des dirigeants européens à féliciter Mark Rutte.
En France, où Marine Le Pen est donnée au second tour de la présidentielle, le 7 mai, François Hollande a salué une "nette victoire contre l'extrémisme".
"Les valeurs d'ouverture, de respect de l'autre et de foi en l'avenir de l'Europe sont la seule véritable réponse aux pulsions nationalistes et de repli sur soi qui secouent le monde", souligne le président français.
En Allemagne, où les eurosceptiques et anti-immigrés d'Alternative für Deutschland (AfD) pourraient faire leur entrée au Bundestag pour la première fois aux élections du 24 septembre, Peter Altmaier, le secrétaire d'Angela Merkel, s'est fait lyrique : "Pays-Bas, ô Pays-Bas, vous êtes des champions. Félicitations pour ce résultat fantastique."
Les capitales européennes noteront aussi la progression des centristes de D66 et des écologistes de Groen Links, deux formations pro-européennes.
Mais s'il a réussi à empêcher la victoire de Geert Wilders qu'annonçaient les sondages pendant la majeure partie de la campagne, Mark Rutte va devoir s'atteler à former une nouvelle coalition.
Pour compenser la défaite cinglante des travaillistes, il va lui falloir négocier le ralliement d'au moins trois autres partis pour parvenir à une majorité au Parlement.
Ce qui augure de plusieurs mois de négociations.
(avec Stephanie van den Berg, Anthony Deutsch et Philip Blenkinsop, Julie Carriat et Henri-Pierre André pour le service français, édité par Gilles Trequesser)