Les agriculteurs européens risquent de faire les frais du bras de fer que se livrent les gouvernements européens sur le futur budget de l'UE qui pourrait entraver l'entrée en vigueur de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) prévue le 1er janvier 2014.
"Il est pratiquement certain que nous ne serons pas en mesure de mettre en oeuvre la réforme au 1er janvier 2014", a jugé le ministre de l'Agriculture britannique Jim Paice, en marge d'une réunion avec ses homologues européens à Horsens (Danemark).
"Personne ne s'attend réellement à un accord sur le budget avant la fin de cette année, et il est assez clair que la réforme de la PAC ne pourra pas être adoptée avant que nous ayons un budget" courant 2013, a-t-il expliqué.
Le constat est quasi unanime entre les ministres européens: impossible d'entrer dans le vif du sujet, notamment la redistribution des aides agricoles, sans avoir une idée claire de l'enveloppe globale.
Or "tout retard affecterait en particulier les programmes de développement rural, et risquerait même d'avoir un impact sur les aides directes" au revenu des agriculteurs, a averti le commissaire européen Dacian Ciolos.
"On ne peut pas dire aux agriculteurs +partez en vacances, on vous appellera quand on a fini+", s'est-il emporté, en soulignant que l'UE avait "encore tous les ingrédients pour prendre une décision à temps".
Mais plusieurs pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France ou l'Espagne semblent moins pressés. "Nous avons avant tout besoin d'une bonne réforme", assure l'Espagnol Miguel Arias Canete. Au pire, note-t-il, le système en place serait reconduit à titre transitoire, un "plan B" que Dacian Ciolos refuse d'envisager.
Le ministre irlandais Simon Coveney, dont le pays prendra la présidence de l'UE pour six mois en janvier 2013, envisage déjà la possibilité d'organiser un sommet extraordinaire des dirigeants européens en février prochain pour trouver au plus vite un accord sur le budget: "Nous devrons faire tout ce qui est nécessaire".
Plusieurs fronts s'opposent: d'un côté la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède, tous contributeurs nets, partisans d'une réduction drastique du futur budget de l'UE pour 2014-2020. En face, les pays les plus pauvres, qui plaident pour une hausse.
Le bloc des contributeurs nets a aussi ses fissures: la France, premier bénéficiaire de la PAC, veut maintenir cette enveloppe équivalente à près de 40% du budget européen, une ligne qui ne devrait pas changer, malgré l'absence à Horsens du nouveau ministre français Stéphane Le Foll. D'autres, Royaume-Uni en tête, veulent réduire l'enveloppe de la PAC.
Au-delà des questions d'argent, le consensus est loin d'être trouvé sur les mesures-phares de la réforme de la PAC.
Les divisions sont profondes sur la redistribution plus équitable des aides directes d'un pays à l'autre et d'une exploitation à l'autre, ou sur leur plafonnement, comme cela est prévu par la réforme. Cette disposition est refusée par Londres, Berlin ou La Haye. Les disparités sont pourtant criantes: aujourd'hui, 80% des fonds sont versés à 20% des exploitations agricoles.
Les discussions progressent toutefois sur l'idée du "verdissement" des aides, autre point fort de la réforme, qui vise à les conditionner en partie au respect de mesures environnementales comme des jachères écologiques ou la diversification des cultures.
"Plus on en discute, plus ça devient flexible", a résumé la ministre danoise Mette Gjerskov. "Une majorité d'Etats accepte le principe du verdissement, la question n'est plus de savoir si on le fait, mais comment".
Cet assouplissement est d'ores et déjà dénoncé par les ONG environnementales qui s'inquiètent de voir le "verdissement" virer au "vert pâle".