Des alignements de jeunes noyers se dressent désormais entre les champs de maïs, de blé ou de colza: éreintés par les mauvaises récoltes et les cours fluctuants des marchés mondiaux, des agriculteurs de Bourgogne convertissent certaines de leurs terres en vergers.
"On a eu des années difficiles", reconnaît Laurent Yverneau, 56 ans, à l'extrémité d'une parcelle où de petits arbres remplacent depuis un an les grandes cultures céréalières. "On est bien obligés de réagir", lance l'agriculteur, qui espère "redonner une valeur économique à l'exploitation, retrouver un peu de souffle".
Dans ces terres vallonnées de l'Yonne, il a planté 15 hectares de noyers. Guère plus que des tiges, à ce stade: "Celui-ci faisait 60 cm l'hiver dernier, là on est à 2m50." Il lui faudra au moins cinq ans pour commencer à produire.
Les céréales, "c'est vraiment en dents de scie. Soit c'est des mauvaises récoltes, soit c'est des mauvais prix. Ça commence à être assez aléatoire", abonde Hugo Verdonck, 44 ans, à l'origine de ce projet qui regroupe neuf céréaliers ou polyculteurs-éleveurs du sud de l'Yonne et de la Nièvre voisine.
"Plusieurs phénomènes" s'additionnent pour décourager les cultivateurs: périodes de sécheresse ou d'humidité, insectes, instabilité des cours. "Ça se dégradait, il fallait trouver quelque chose de plus pertinent au niveau rentabilité", ajoute M. Verdonck.
C'est un pari sur l'avenir: l'investissement est d'environ 9.000 euros par hectare, en comptant l'entretien d'une parcelle qui ne produira rien pendant plusieurs années. Avec l'espoir, ensuite, de générer 5.000 euros par an sur cette même surface.
- Travail de groupe -
En cette fin de matinée d'hiver, le groupe se trouve sur l'exploitation de Damien Guyard à Lainsecq (Yonne). Aux commandes du tracteur, l'agriculteur de 26 ans suit le quadrillage qu'il a tracé dans la terre. Derrière, la planteuse ouvre le sol puis le referme.
Ils s'y mettent à plusieurs: sur la planteuse, l'un d'eux fiche les arbres dans le trou tandis que les autres marchent derrière, équipés de crocs à fumier, ramenant et tassant la terre autour des jeunes plants. Ils besognent tout en plaisantant, se retrouvant visiblement avec plaisir.
Dans "un métier où on est souvent tout seul", le groupe est "une force", estime Hugo Verdonck. Selon lui, le modernisme a fait disparaître l'esprit de collectivité qui existait dans l'agriculture. "L'avenir, c'est de travailler ensemble pour avoir une (meilleure) rentabilité."
Le projet est né au sein d'un "groupe technique céréales", auquel ils participaient à la chambre d'agriculture. Cette dernière les soutient, en les aidant à obtenir des subventions ou à acquérir de nouvelles compétences.
Après une formation en 2017 dans le Lot, un gros producteur du fruit à coque, les exploitants ont créé l'association Noix et noisettes de Bourgogne. Ils se lancent en bio, même s'ils n'en font pas une obligation au sein de l'association, et prévoient de vendre directement au consommateur.
- Filière -
Cette après-midi-là, la plantation se poursuit sous le regard d'une vingtaine de visiteurs: des céréaliers, mais aussi des viticulteurs ou encore quelques banquiers locaux venus à l'occasion d'une journée portes-ouvertes.
Certains prennent des notes, posent des questions. Gaëlle de Nardo, agricultrice de 37 ans en "grandes cultures avec un peu de légumes secs" dans le nord de l'Yonne, est intéressée.
"L'objectif c'est de diversifier pour avoir de la valeur ajoutée. Dégager une meilleure marge à l'hectare", explique-t-elle. Pour sa petite structure, la plantation de noyers "permettrait d'avoir un nouveau débouché".
"Historiquement, ici, il y a un berceau de la production de noix, avec aujourd'hui des arbres plutôt isolés. On a fait le choix de réintroduire cette culture-là", indique Loïc Guyard, 32 ans, l'un des nouveaux nuciculteurs et élu à la chambre d'agriculture de l'Yonne.
Quelque 7.500 arbres sont déjà plantés sur une cinquantaine d'hectares, ce qui représente entre 5% et 10% des surfaces cultivées par les neuf agriculteurs.
"On pourrait facilement doubler, mais il faut qu'on arrive à construire la filière en même temps", selon M. Guyard, soulignant l'importance de faire connaître leur initiative à d'autres agriculteurs. "On sait que pour créer une filière, il faut du volume."