Total a annoncé mercredi la suppression d'ici à 2016 de 210 des 554 emplois de son site pétrochimique lorrain de Carling (Moselle), sa plus grosse restructuration en France depuis la fermeture de la raffinerie de Dunkerque en 2010.
Lors d'un comité central d'entreprise (CCE) à Paris, le groupe a présenté aux syndicats un projet de fermeture "au deuxième semestre 2015" de la principale installation du site lorrain, le vapocraqueur, partiellement compensée par des nouveaux investissements de 160 millions d'euros, notamment dans de nouvelles activités.
Le plan se fera "sans aucun licenciement", a assuré le groupe. Mais plusieurs syndicats ont prévenu que la fermeture du vapocraqueur entraînerait indirectement la perte de centaines d'emplois supplémentaires, un nouveau coup dur pour la Lorraine déjà fortement éprouvée par la crise.
La fermeture du vapocraqueur lourdement déficitaire (environ 100 millions d'euros de pertes par an), qui transforme le naphta pétrolier en dérivés pétrochimiques (éthylène et propylène) destinés notamment à la fabrication de plastique, correspond à la suppression de 320 postes sur le site, selon Total.
Mais les investissements et l'ouverture de nouvelles activités permettront de créer près de 110 postes, limitant les réductions d'emplois à 210.
Total va notamment faire de Carling le "centre européen" de son activité de résines d'hydrocarbures (pour adhésifs, automobile ou électronique), ouvrir une ligne de production de polypropylène (thermoplastique) et augmenter les capacités de polystyrène.
"Nous ne fermons pas du tout le site, au contraire, nous allons investir dans des marchés auquel nous croyons. Notre ambition, c'est de garantir un futur pour Carling en apportant des activités en croissance", a fait valoir le patron de la branche Raffinage Chimie de Total, Patrick Pouyanné, dans un entretien à l'AFP.
Quant aux suppressions de postes, elles se feront via des départs en retraite et des pré-retraites anticipées.
"Il n'y aura pas de licenciements, ni de mobilité forcée pour les ouvriers et techniciens", a promis M. Pouyanné.
100 millions de pertes par an
"C'est une évolution, mais une évolution nécessaire et qu'on compte bien mener. (...) Il faut prendre nos responsabilités, c'est notre job, sinon on va dans le mur et on ne prépare pas l'avenir", a-t-il défendu.
En outre, malgré l'arrêt du vapocraqueur, le groupe s'est engagé à poursuivre l'approvisionnement en éthylène de ses clients, comme le français Arkema à Carling-Saint-Avold et le suisse Ineos sur son site lorrain de Sarralbe (Moselle).
Selon Khalid Benhammou, coordinateur groupe CFE-CGC chez Total, en comptant les emplois indirects, le bassin de Carling va perdre plus de 600 postes, "une hémorragie dont la région n'avait pas besoin".
"C'est d'autant plus une catastrophe pour la région, que cela peut faire une réaction en chaîne avec les emplois dans le commerce et les services", a renchéri Eric Sellini, coordinateur groupe CGT.
Pour sa part, la CFDT a condamné les suppressions de postes et dénoncé "le manque d’anticipation et d’investissements de la part de la direction du groupe" qui "a conduit ce site à se dégrader plus rapidement dans un contexte économique difficile".
L'annonce intervient alors que la pétrochimie européenne est en difficulté, du fait d'une demande en berne sur le Vieux Continent, et d'une concurrence croissante venue du Moyen-Orient. Une compétition accrue se dessine également des Etats-Unis, où la pétrochimie rebondit grâce à l'afflux de gaz de schiste.
La semaine dernière, le PDG de Total Christophe de Margerie avait averti que son groupe serait "amené" à mener des restructurations en France.
Renvoyé à ses bénéfices au-delà des 10 milliards annuels largement dû à ses gisements, le groupe a souvent peiné à justifier ses restructurations dans l'"aval" (raffinage et chimie) beaucoup moins bien loti, comme l'a montré la polémique sur Dunkerque en 2009.
Eric Sellini de la CGT a ainsi affirmé que les 160 millions d'euros injectés sur le site ne sont "rien" au regard des 20 milliards que le groupe investit par an dans l'exploration et la production de pétrole.
Total emploie actuellement environ 3.000 personnes dans la pétrochimie en France, pour des effectifs nationaux de 16.000 dans sa branche Raffinage Chimie.
Après cette fermeture à Carling (où un 2e vapocraqueur avait déjà été supprimé en 2009), le géant du CAC 40 n'opérera plus que trois unités de ce type en France, et deux sur son site belge d'Anvers. A l'inverse, il envisage la construction d'un exemplaire supplémentaire au Texas.