par Helen Murphy et Luis Jaime Acosta
CARTHAGENE, Colombie (Reuters) - Le président colombien, Juan Manuel Santos, et le chef des Farc, Timochenko, ont signé lundi à Carthagène un accord de paix historique qui met fin à 52 ans de conflit armé en Colombie, la plus longue guerre civile d'Amérique latine.
Les deux hommes ont paraphé ce texte négocié pendant quatre ans à La Havane à l'aide d'un stylo fabriqué à partir d'une balle avant d'échanger avec chaleur leur première poignée de mains sur le sol colombien, devant plusieurs centaines de dignitaires scandant "Vive la Colombie ! Vive la paix !"
Juan Manuel Santos a remis à Timochenko, nom de guerre du révolutionnaire Rodrigo Londono, un badge en forme de colombe de la paix.
"L'horrible nuit de violence qui nous a recouverts de son ombre pendant plus d'un demi-siècle est terminée", a déclaré le président colombien, âgé de 65 ans. "Nous ouvrons nos coeurs à une nouvelle aube, à un soleil brillant plein de possibilités qui est apparu dans le ciel colombien."
Les invités de la cérémonie organisée à Carthagène, sur la côte des Caraïbes, parmi lesquels le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, le président cubain, Raul Castro, et le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, mais aussi des victimes d'un conflit qui aura fait 250.000 morts, avaient été priés de se vêtir de blanc.
Une minute de silence a été observée en mémoire des personnes tuées, mutilées, violées, enlevées ou déplacées pendant la guerre civile.
"Personne ne doit douter que nous ferons de la politique sans armes", a déclaré Timochenko, 57 ans, demandant pardon pour les victimes des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie). "Nous sommes tous prêts à désarmer, dans nos esprits et dans nos coeurs", a-t-il ajouté.
DÉMOBILISATION DES FARC
L'accord prévoit la démobilisation des Farc et leur transformation en un parti politique à même de lutter dans les urnes et non plus sur le champ de bataille comme il l'a fait depuis 1964.
L'Union européenne en a pris acte en retirant avant même la signature les Farc de sa liste des organisations terroristes.
John Kerry a déclaré que Washington examinerait cette possibilité. Les Etats-Unis, a-t-il ajouté, verseront l'an prochain 390 millions de dollars à la Colombie en guise de soutien au processus de paix.?
"Tout le monde peut prendre une arme, tout faire sauter, faire du mal à d'autres, mais cela ne mène nulle part (...). La paix est un travail difficile", a commenté le chef d'une diplomatie américaine actuellement impuissante à mettre un terme à la guerre en Syrie.
Si la perspective d'un arrêt du bain de sang et des enlèvements apporte un profond soulagement, l'accord n'en a pas moins provoqué des dissensions au sein de la société colombienne.
Certains, comme l'ancien président Alvaro Uribe, n'admettent pas que l'accord permette aux rebelles de se faire élire au Congrès et de ne pas purger la moindre peine de prison.
L'accord doit être ratifié par un référendum qui aura lieu dimanche et les sondages laissent penser qu'il sera entériné sans difficulté.
Lundi à Carthagène, de grands panneaux appelaient à voter "oui", tandis qu'Alvaro Uribe et plusieurs centaines de ses partisans, qui portaient des parapluies aux couleurs du drapeau colombien, demandaient de voter "non" le 2 octobre.
"JE N'ARRIVE PAS À CROIRE QUE CE JOUR EST ARRIVÉ"
Les Farc, nées d'une révolte paysanne avant de devenir un acteur important dans le trafic de cocaïne, ont disposé de quelque 20.000 combattants au plus fort de leur lutte. Les 7.000 guérilleros que compte aujourd'hui le mouvement devront remettre leurs armes aux Nations unies dans les 180 jours.
Les Colombiens se demandent comment les anciens rebelles s'intégreront à la société, mais la majeure partie d'entre eux estiment que la paix apportera davantage de points positifs que de problèmes.
"Je n'arrive pas à croire que ce jour est enfin arrivé, la paix arrive en Colombie !", s'est exclamé un homme de 43 ans, Juan Gamarra, joaillier à Carthagène.
L'économie colombienne s'est mieux portée que celle des pays voisins ces dernières années et la paix devrait permettre au gouvernement de réduire ses dépenses de sécurité tout en ouvrant de nouvelles régions à l'exploitation minière et pétrolière.
Mais les organisations criminelles pourraient aussi tenter de combler le vide laissé par les ex-rebelles, et les mines entraver le développement, alors que la réduction de la pauvreté dans les campagnes reste un immense défi pour la Colombie.
Cet accord de paix ratifié, le président Santos espère pouvoir tirer parti de son crédit politique pour faire adopter ses projets économiques, notamment une réforme fiscale destinée à compenser la baisse des revenus pétroliers provoquée par la chute des cours de l'or noir.
Dans toute la Colombie, des écrans géants avaient été mis en place pour permettre aux 49 millions de Colombiens d'assister à la cérémonie de signature en direct.
"C'est un jour tellement important; maintenant nous pouvons lutter sur le plan politique, sans verser de sang, sans guerre", a déclaré Duvier, un rebelle âgé de 25 ans ayant participé au congrès des Farc qui a ratifié l'accord la semaine dernière dans les plaines amazoniennes du Yari.
(Eric Faye, Danielle Rouquié et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)