par Elizabeth Pineau
PARIS (Reuters) - Les plans de relance issus de la crise du coronavirus doivent s'élaborer dans le respect des engagements de l'accord de Paris sur le réchauffement climatique, estime Laurent Fabius, l'un des artisans de ce texte de référence dont on célébrera samedi le cinquième anniversaire.
Dans son vaste bureau avec vue sur les jardins du Palais Royal, l'ex-président de la COP-21, aujourd'hui président du Conseil constitutionnel, conserve sur une console, près d'un buste de Marianne, une réplique du petit marteau en bois vert avec lequel il a scellé le pacte planétaire, le 12 décembre 2015.
Celui qui était alors ministre des Affaires étrangères du président François Hollande travailla pendant 15 jours et autant de nuits sur les 1.600 paragraphes qui restaient à discuter dans le texte de 29 articles aujourd'hui signé par 194 pays et ratifié par 189 d'entre eux. Avec pour tous, un objectif commun : maintenir la hausse de la température mondiale à un niveau inférieur à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels - alors que la trajectoire actuelle s'oriente vers 3°C d'ici la fin du siècle.
"On avait l'impression, vraiment, de faire l'Histoire avec un grand H", raconte-t-il en souvenir de cet instant où des centaines de négociateurs "se sont levés, se sont embrassés, ont applaudi" sous ses yeux. "Il y avait une grande émotion. On savait qu'il faudrait appliquer tout ça, que ça ne serait pas facile, mais je pense que cet accord a été vécu comme un tournant".
Cinq ans plus tard, malgré une prise de conscience générale, le monde vient de connaître le mois de novembre le plus chaud jamais mesuré. Selon l'institut européen Copernicus, la période allant de décembre 2019 à novembre 2020 se situe à 1,28°C au-dessus des températures de l'ère préindustrielle.
"La dernière décennie a été chaude, l'année 2020 est extrêmement chaude et puis au-delà de la chaleur il y a des catastrophes : inondations, famines, migrations massives, tempêtes, etc", note Laurent Fabius. "Donc l'accord de Paris a été positif mais il va falloir aller plus loin et surtout l'appliquer, l'appliquer, l'appliquer."
"IL FAUT CONVAINCRE"
Aux questions de réchauffement, de pollution et de disparition de la biodiversité s'est greffée la crise du coronavirus qui bouleverse le monde depuis un an.
"On ne fait malheureusement pas autant pour lutter contre le dérèglement climatique que, avec raison, contre les conséquences de la COVID", fait remarquer Laurent Fabius.
Pour l'ancien Premier ministre, les "milliers de milliards" engagés dans les plans de relance qui fleurissent dans les pays touchés par la pandémie "ne doivent pas être bruns mais verts", c'est-à-dire "encourager les nouvelles pratiques, les nouvelles énergies, les nouveaux modes de production et de consommation qui peuvent à la fois lutter contre les conséquences de la COVID et aller dans le sens de l'accord de Paris."
A deux jours du cinquième anniversaire qui donnera lieu à un sommet international en visioconférence, Laurent Fabius constate un climat politique mondial favorable au climat tout court grâce aux virages récemment négociés par la Chine et les Etats-Unis, les deux plus grands pollueurs de la planète.
Joe Biden, qui entrera à la Maison Blanche en janvier, a promis de réintégrer l'accord de Paris abandonné par Donald Trump en 2017. Quant au président chinois Xi Jinping, il a engagé son pays vers la neutralité carbone à l'horizon 2060 lors de son discours à l'Assemblée générale des Nations unies.
"Le fait que le premier pays émetteur de gaz à effet de serre s'engage était très important. Dans la foulée, le Japon s'est engagé vers une neutralité carbone en 2050, la Corée du Sud aussi, les Britanniques eux-mêmes ont évolué, l'Europe va prendre des décisions", détaille Laurent Fabius.
L'ancien diplomate encourage le démocrate Joe Biden, qui devra asseoir son assise politique au Sénat et sera confronté à "des résistances de certains groupes pétroliers, charbonniers".
"Il faut convaincre", reconnaît-il. "Mais il y a quand même un climat nouveau qui demande à être concrétisé."
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