A coups de formules choc, Ada Colau, cheveux courts et regard noir, est devenue le fer de lance du combat à travers toute l'Espagne contre les expulsions de propriétaires surendettés, dénonçant "l'escroquerie immobilière" dans un pays où 3,4 millions de logements restent vides.
"Jusqu'en 2008, les ministres espagnols disaient qu'acheter un appartement était le plus sûr de tous les investissements. On a menti et le plus pervers de tout c'est que quand tout a explosé, on a accusé la population d'avoir vécu au-dessus de ses moyens", s'insurge cette militante dans l'âme de 40 ans, dans un entretien avec l'AFP à Barcelone.
Le visage doux et la voix maternelle de cette licenciée en philosophie contrastent avec la dureté du discours, forgé depuis son époque universitaire dans les syndicats et les mouvements anti-globalisation européens créés dans les années 2000.
Cette fille de militants est à l'origine, avec d'autres, de la création en 2009 de l'association des victimes des crédits hypothécaires (PAH).
Depuis, la PAH s'est fait connaître en organisant des rassemblements de plusieurs dizaines de militants devant les domiciles de personnes menacées d'expulsions pour empêcher les évictions, des occupations de siège de banques ou encore des opérations coup de poing sous les fenêtres d'élus.
Ada Colau affirme que la PAH a empêché plus d'un millier d'expulsions et aidé à reloger un millier de personnes.
Témoin de son combat acharné, les premiers mots de son fils de trois ans furent le cri de ralliement de la PAH: "si se puede", l'équivalent de "yes we can" (oui, c'est possible).
Elle dénonce les abus du crédit facile qui ont conduit à l'explosion de la bulle immobilière en 2008, plongeant l'Espagne dans une profonde crise: des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées dans l'incapacité d'honorer leur crédit hypothécaire dans un pays où le taux de chômage touche plus d'un actif sur quatre.
Selon le Conseil général du pouvoir judiciaire, 415.117 ordres d'expulsion ont été prononcés entre 2008 et 2012 et 252.826 ont été exécutés, soit près de 61%. "Plus de 70% concernent des domiciles principaux", affirme Ada Colau.
- Dépressions et violences -
"Le problème du logement est prioritaire. C'est l'un des principaux facteurs de précarisation de la société alors que les logements ne manquent pas", dénonce-t-elle.
Elle se souvient d'ailleurs des premières réunions de la PAH où elle a vu arriver des dizaines de personnes "dévastées et minées par la honte" parce qu'en peu de temps, "leur vie avait explosé en vol. Elles avaient perdu leur travail, leur maison et en plus, elles devaient encore payer leur crédit".
"On a vu des tentatives de suicide, dépressions, séparations, alcoolisme, violences conjugales...", raconte-t-elle.
Après trois ans de mobilisation, Ada Colau marque les esprits quand, dans un discours devant les députés en 2013, elle qualifie de "criminel" un banquier qui avait relativisé le problème.
Le gouvernement de droite est obligé de revoir en partie la réglementation bancaire, sous pression d'une proposition de loi populaire de la PAH qui a recueilli 1,4 million de signatures.
Mais "l'impact a été minime", selon elle, car les critères d'application de l'extinction de la dette contre la saisie du logement et du gel des expulsions du domicile principal ont été trop restrictifs.
Son combat est toutefois salué jusqu'au Parlement européen qui attribue en juin à la PAH le "Prix du citoyen européen", récompensant "des personnes ou organisations exceptionnelles luttant pour les valeurs européennes", au grand dam du Parti populaire, au pouvoir en Espagne.
"Le PP m'a attaquée. Il y a eu des semaines très dures. Ils me qualifiaient de terroriste et j'ai reçu des menaces de mort", raconte Ada Colau, avant de repartir à l'attaque.
La PAH poursuit ses occupations de succursales bancaires pour dénoncer les milliers de logements vides appartenant aux banques espagnoles, bénéficiaires d'un sauvetage européen de 41,3 milliards d'euros.
"Ça n'a pas de sens. Il vaudrait mieux utiliser ces appartements vides pour des logements sociaux. Mais en plus, les banques secourues sont celles qui expulsent le plus", s'indigne-t-elle.