Tour à tour banquier prestigieux et assureur puissant, Antoine Bernheim , décédé mardi à 87 ans, a été durant plus de 40 ans une figure clé de la finance en France et en Italie.
Admiré pour sa pugnacité et son génie des affaires, il avait contribué à façonner le capitalisme hexagonal de 1960 à 1990, avant de prendre dans la Péninsule la tête de Generali, qu'il a abandonnée au printemps 2010.
Né à Paris le 4 septembre 1924 dans une famille juive, Antoine Bernheim fait ses études au lycée Janson de Sailly puis quitte la capitale, occupée par les Allemands, pour se réfugier avec sa famille à Grenoble.
Il y fréquente la faculté des sciences et les réseaux de la Résistance, dans le sillage de son père Leonce, ingénieur et avocat, qui est arrêté avec sa mère en 1943. Tous deux seront déportés et exécutés à Birkenau.
Rentré à Paris, il termine des études de droit, se marie et se lance dans une carrière de consultant. En 1951, il est engagé pour réorganiser la maison de parfumerie Bourjois, qu'il quitte quatre ans plus tard pour s'occuper avec succès d'une société immobilière.
Connu pour son franc-parler, c'est un financier reconnu lorsqu'il est repéré à 43 ans par le grand banquier André Meyer de Lazard Frères.
Redoutable joueur d'échecs
Associé-gérant de la prestigieuse institution de 1967 jusqu'en 2005, "Tonio", comme le surnomment ses proches, y révèle son talent en façonnant les plus grandes fortunes de France: de Bernard Arnault à François Pinault, en passant par Vincent Bolloré, son fils spirituel.
Il prend en charge l'expansion de Lazard dans les affaires en Italie et de 1988 à 2001, est vice-président de Mediobanca, banque d'affaires milanaise au coeur du capitalisme transalpin.
Parallèlement, dès les années 1960, il entame sa carrière d'assureur auprès de Generali, d'abord en administrant une filiale en France, puis en devenant administrateur en 1973, vice-président en 1990 et président en 1995.
Passionné de bridge, ce charmeur à l'élégance surannée avec son costume trois pièces était un redoutable joueur d'échecs dans le monde des affaires.
Coup inattendu: il cède en 1996 l'importante participation de Generali dans Axa, laissant le champ libre à son concurrent français qui accélère son développement. Habile à manoeuvrer dans l'ombre, il surprend la place de Paris en lançant l'année suivante Generali à l'attaque du français AGF.
Evincé en 1999 de la présidence de Generali par une manoeuvre de Mediobanca, Antoine Bernheim ne tarde pas à se venger. Aidé par Vincent Bolloré, il revient par la grande porte, comme vice-président en 2001 puis à nouveau président en 2002.
Sous son égide, Generali dégage les plus gros bénéfices de son histoire.
Jamais aussi fringant que dans le feu de l'action, ce bourreau de travail hypocondriaque au style volontiers bourru vivra très mal son retrait forcé en avril 2010, de nouveau victime de Mediobanca.
"A la retraite, c'est quoi le défi?"
"Ils ne veulent plus de moi, je m'en vais (...) Allez interviewer les vedettes (...), il faut pas interviewer les perdants", lance-t-il aux journalistes en quittant, avant la fin, l'assemblée générale réunie à Trieste (nord-est de l'Italie) qui scelle son départ.
"Dans la vie, les défis m'ont toujours motivé mais à la retraite, c'est quoi le défi? Peut-être la mort? J'en parlerai à mes amis évêques et cardinaux", avait-il confié le même jour à la presse locale.
En avril dernier, Antoine Bernheim avait quitté, après un quart de siècle de présence, le conseil d'administration de LVMH du milliardaire Bernard Arnault qu'il avait aidé à bâtir le numéro un mondial du luxe.
Il était resté membre des conseils de surveillance de Eurazeo et du Monde, et des conseils d'administration de Ciments Français et Europacorp (société de Luc Besson). Il a été écarté l'an dernier de celui de Havas et a démissionné de celui de groupe Bolloré.
Père de deux enfants, Antoine Bernheim était titulaire de la Grand-Croix de la Légion d'honneur.